La Cours d’Appel Administrative de Lyon a statué sur l’affaire des Bruyères longuement évoquée dans mes articles précédents.
Notre demande paraissait humainement incontournable, à savoir : reconnaître que le service ASE de Saône-et-Loire avait failli à sa mission en retirant les adolescents de notre Lieu de Vie et d’Accueil cela, sans aucun contrôle préalable ni vérification d’une réelle maltraitance auprès des ados.
Nous avions bon espoir au vu du dossier :
1/Une lettre anonyme reçue au département de nombreux mois en amont de l’intervention, ce qui permettait très largement une visite de contrôle ;
2/Un avertissement de notre part de la malveillance de certaines personnes voulant nuire au LVA, ceci des mois également avant l’intervention du service ASE appuyé par la gendarmerie ;
3/Une inspection du département et une évaluation externe aux résultats élogieux, effectuées les années précédentes, ce qui aurait dû en toute logique, à tout le moins questionner le service ASE.
Si le jugement au fond émis par le tribunal de Dijon a bien été annulé pour des raisons de forme, la Cour d’Appel Administrative de Lyon a tout de même estimé que le département de Saône-et-Loire n’avait pas commis d’erreur en retirant les adolescents du LVA sans aucune précaution car :
« Les dispositions de l’article L. 313-16 du code de l’action sociale et des familles permettent, en cas d’urgence notamment, au président du conseil départemental de procéder à suspension, à titre provisoire et pour une durée maximale de six mois de l’activité en cause. Cette procédure, suivie en raison de l’urgence qu’il y a à préserver le bien-être des personnes accueillies, est décidée sans injonction préalable de l’autorité compétente. Ces dispositions ne prévoient pas davantage qu’une telle décision soit précédée d’une procédure de contrôle, visite ou d’inspection de l’établissement.
L’affaire des Bruyères révèle une aberration administrative et un vide juridique aux conséquences humaines désastreuses.
En résumé :
Primo, une situation d’urgence peut être visiblement considérée comme telle, alors même que des mois se sont écoulés entre l’alerte et l’intervention. (Si maltraitance il y avait eu, quid des mois d’attente avant d’intervenir ?)
Secundo, un département peut retirer des enfants ou adolescents accueillis dans une structure, sur un simple doute, ou, comme cela a été le cas pour nous, sur une dénonciation anonyme de maltraitance, cela sans rien vérifier en amont et sous prétexte que le département, au travers de son service de l’aide sociale à l’enfance, n’en a simplement pas l’obligation juridique !
Le législateur n’oblige pas un département ayant délivré une autorisation de fonctionnement à un LVA, (Lieu de Vie et d’Accueil) à prendre des précautions avant une action de retrait manu militari des jeunes.
Aucune obligation de visite sur site.
Aucune obligation d’échanges avec les adolescents présents.
Aucune obligation de renseignements auprès des référents ASE des jeunes.
Dans l’affaire des Bruyères, le tribunal n’a même pas relevé le fait que le service ASE de Saône-et-Loire n’avait pas prévenu les parents du retrait de leurs enfants avec l’appui de la gendarmerie, parents pourtant ici tous détenteurs de l’autorité parentale.
Dans la situation présente, le droit des familles a été bafoué en transgression flagrante d’avec les textes de lois régissant les droits de l’enfant et de la famille.
Un département a de fait tout loisir de se réfugier derrière ce vide juridique et le soutien de la magistrature, pour ne pas rendre compte des erreurs de son service de la protection de l’enfance. Il n’est pas difficile de comprendre dans ces conditions, le sentiment de toute-puissance de certains agents territoriaux.
Ce défaut d’obligation a conduit, dans le cas des Bruyères, à une maltraitance administrative d’apparence tout à fait légale, supprimant de l’équation en toute bonne conscience, la logique, l’éthique, la morale et la réelle protection de l’enfant.
Il faut bien avoir conscience qu’une fois la catastrophe commise, il n’y a pas de retour. Les ados sont retirés dans les pleurs et la stupéfaction et même après leur audition en gendarmerie où les jeunes ont manifesté leur dégoût de l’action menée par l’ASE de Saône-et-Loire et attesté avec force de la bienveillance de notre accueil, ils n’ont pas pu revenir.
Pourquoi pas de retours me direz-vous, puisqu’il n’y a pas eu de raison de fermeture du LVA et de retrait des jeunes ? Simplement et aussi cyniquement que cela puisse paraître, parce que, comme a pu le dire un Directeur de l’ASE Saône-et-Loirienne « l’administration ne reconnaît jamais ses erreurs ».
Cet adage a tout lieu d’être, puisque visiblement, même la justice ne l’y contraint pas.
Le législateur n’oblige pas non plus un département à donner la même publicité à la reconnaissance d’une erreur, qu’à l’alerte donnée.
En droit de la presse par exemple, si un journal commet une erreur, la publication de l’erratum doit être faite dans les mêmes proportions et sous la même forme que la publication de l’erreur. Dans le cas d’une alerte démesurée d’un service départemental de la protection de l’enfance, aucune obligation.
Concernant le LVA des Bruyères, après avoir alarmé tous les départements de France dans des proportions surréalistes, le seul retour fut un courrier succinct précisant que notre LVA répondait aux normes administratives. Aucune information nationale.
Il est évident que ce seul courrier ne suffit pas à rassurer les autres services ASE du territoire dans son ensemble.
J’en veux pour preuve que le service ASE de l’Ain, dont la directrice, malgré les suppliques du jeune, la demande des parents, des référents de l’aide sociale à l’enfance et de la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ), du magistrat en charge, n’a jamais autorisé le retour du jeune aux Bruyères. Cette directrice ASE, contre toutes logiques et devoir professionnel a simplement conceptualisé à l’extrême la pratique couramment usitée « de la solidarité administrative absolue » même si cela doit broyer au passage un jeune ado.
Nous devons dépasser dans cette affaire le strict regard porté sur le LVA des Bruyères, même si dans cette situation, le département a bénéficié en outre du soutien de la magistrature locale, solidarité oblige.
Il semble au vu des retours et de la mobilisation autour de cette affaire, qu’elle apparaît comme un cas de plus en France d’un service dysfonctionnant qui tente de masquer ses erreurs.
Le cadre réel de cette affaire, une fois épuré des artifices utilisés par l’ASE de Saône-et-Loire pour travestir la réalité de son action, devra, s’il le faut, être porté à la connaissance de la Cour Européenne des Droits de l’Homme.
Cette instance européenne devra s’interroger sur la toute-puissance de certains services français en charge de la protection de l’enfance et envisager des garde-fous.
Sous couvert d’un principe de précaution on ne peut que constater que certains services départementaux menés par des agents souvent éloignés de la réalité du terrain ou encore pour d’autres, simplement avides de pouvoir, se dispensent dans les faits de toutes précautions, même les plus élémentaires.
Les structures que sont les Lieux de Vie et d’Accueil doivent répondre à un nombre conséquent d’obligations. Ces obligations doivent être la garantie de l’intégrité physique et psychique du public accueilli. Comment est-il possible qu’il n’en soit pas de même pour un service départemental dédié à la protection de l’enfance en danger ?
Au-delà de notre histoire personnelle, je me dois en tant que Président de l’Union Nationale des Artisans de la Protection Sociale, de porter cette affaire s’il le faut au niveau européen.
Ceci est la prochaine étape de notre combat. Il est impératif de ne pas laisser des agents territoriaux en roue libre. Il serait effectivement très naïf de supposer que toutes les personnes concourant dans un département, au service de la protection de l’enfance, ont la capacité de prendre des décisions pertinentes.
Je tiens à préciser, pour éviter une distorsion de mes propos, ce qui m’a déjà valu une condamnation pour diffamation, (on ne s’attaque pas à l’administration sans risque…) que je parle bien de « certains services ASE et de certains agents territoriaux ». Il n’est pas dans mes propos l’intention d’incriminer l’ensemble de la profession. Après 35 ans d’accueil, je peux dire que j’ai rencontré un nombre significatif de professionnels tout à fait intègres.
Malheureusement force est de constater aujourd’hui un délitement de ce professionnalisme, ceci au détriment des personnes accueillies et de leurs familles.
Il faut modifier certains paramètres des services ASE, car les mauvaises décisions ou les réactions caractérielles impactent durablement les enfants et ados accueillis.
Dans le cas des Bruyères, les décisions prises par le département de Saône-et-Loire ont contribué au décrochage de certains ados de leurs projets professionnels en cours, à la perte d’un repère affectif construit patiemment, au rejet des institutions par ces jeunes, au désarroi des parents des ados confiés et même, au suicide de deux jeunes.
Ces situations intolérables n’ont plus lieu d’exister en 2023, dans un pays qui se targue de défendre les droits de l’enfant.
Gio Rossi