Yates remonte au poète grec Simonide qui a développé l’idée d’utiliser l’imagination spatiale pour retenir l’information.
La légende raconte que Simonide venait de quitter un dîner dans une maison majestueuse lorsque le toit s’est effondré, écrasant tous les invités restés à l’intérieur. L’accident est tel qu’ils sont méconnaissables. Impossible de les identifier. Parce qu’il se souvenait de l’endroit où chaque personne était assise quand il est parti, Simonide a pu identifier tous les cadavres et suite à cet incident, il a reconnu le pouvoir mnémonique que trouve dans les images mentales de l’espace.

Le palais de la mémoire, ou « méthode des lieux » (ou méthode des loci), est principalement utilisé pour mémoriser les discours (la partie la plus importante de la vie publique d’un citoyen grec ou romain). Pour en faire un, il suffit d’imaginer un bâtiment avec de nombreuses pièces. Une maison d’enfance fait parfaitement l’affaire. Ensuite, il suffit de placer un élément de chaque information que l’on souhaite retenir dans les pièces. Durant l’antiquité, les éléments utilisés étaient étranges et frappants, comme des figures allégoriques et païennes étranges, remplies de significations cachées. Yates soutient que des dispositifs tels que les Sept Péchés Capitaux et la structure de l’enfer, du purgatoire et du ciel dans la Divine Comédie de Dante sont des icônes et des systèmes mnémoniques.
Les praticiens de ces méthodes peuvent s’en servir pour se souvenir d’une quantité stupéfiante d’informations.
Au fil des siècles, l’art de la mémoire est devenu plus qu’un outil pour beaucoup de ses praticiens.
Yates s’intéresse également à Giulio Camillo et à son « théâtre de la mémoire », un concept qui exprime les croyances métaphysiques et surnaturelles avec lesquelles les arts de la mémoire s’étaient liés au Moyen Âge.
Au lieu de se déplacer dans l’espace architectural d’un palais, dans le théâtre de la mémoire, le « public », qui se compose d’une seule personne, se situe au centre de la scène. Le spectateur regarde un auditorium en gradins, composé de symboles et de repères rigides et ordonnés, conçu pour appeler et rappeler absolument tout ce qu’il a jamais connu – et peut-être même plus !
Camillo, écrit Yates, » était l’un de ces gens que leurs contemporains considèrent avec admiration comme ayant d’immenses capacités ». Malheureusement, il n’a que très peu écrit et sa trace disparut dans le temps jusqu’à la publication de l’Art de la Mémoire !
Sous le parrainage et l’admiration de François Ier, Camillo se donne comme mission de construire une maquette de son théâtre. Le modèle, jamais achevé, était assez grand pour accueillir deux personnes et était « marqué de nombreux tableaux et rempli de petites boîtes ».
Chaque tableau est consacré à un philosophe en particulier et est rempli de minuscules inscriptions qui énumèrent des événements de la vie tels que les publications, les mariages et la naissance d’enfants.
Certains de ces tableaux indiquent avec exactitude les événements qui se sont produits après la mort de la personne qu’ils représentent. Yates souligne que d’une certaine manière, Camillo avait « imaginé un moyen de calculer l’avenir ». Au centre de chaque graphique se trouve un cercle dans lequel l’heure, la date, le lieu et la cause du décès sont notés pour chaque sujet, certaines des dates n’ayant pas encore été consignées. A côté de tous ces tableaux, un tableau vide: celui de l’utilisateur potentiel du théâtre.
Cette thématique mystique se retrouve dans toute l’œuvre de Yates, selon laquelle la Renaissance qui autrefois était considérée comme une répudiation de la superstition médiévale en faveur de la raison et de l’humanisme a en fait été ébranlée par des croyances magiques qui se sont poursuivies jusqu’ à la révolution scientifique.
Isaac Newton, après tout, pratiqua l’alchimie et tenta de décoder la date de création de la Bible !
L’une des raisons pour lesquelles l’histoire de l’art de la mémoire a failli se perdre dans le temps, est que les érudits humanistes comme Erasme, qui détestait le Moyen Âge, croyaient que de telles pratiques, comme le disait Yates, »appartenaient aux âges de la barbarie » et devaient céder la place à l’âge des livres.
Bien qu’elle soit principalement connue pour avoir découvert cette longue histoire de l’art de la mémoire, Frances Yates n’a jamais appris à réaliser elle-même aucune de ces techniques de mémorisation vouant son existence à la recherche et à l’écriture.