Depuis qu’elle l’a rencontrée il y a quelques années pour l’aider à scanner ses dessins, Laetitia Carton a toujours eu envie de faire un livre ou un film sur Baudoin, un des piliers de la BD française !
Il faut dire qu’à côté de la puissance expressionniste de ses dessins, Baudoin est aussi un personnage : bavard, facétieux, parfois cabotin, hâbleur, mais toujours attachant. Non seulement le regarder faire un portrait ou un dessin en direct devant la caméra est toujours un moment magique qui revient plusieurs fois dans le film de Laetitia Carton mais la trajectoire de ce fils de communistes niçois, né pendant la guerre, devenu comptable avant de se lancer dans le dessin, a quelque chose d’exemplaire. Etre artiste pour Baudoin, ce n’est pas seulement exploiter un don mais c’est aussi, surtout, ne pas renoncer à ses rêves d’enfant. Pour ne pas avoir à choisir à l'âge adulte, comme disait Pasolini « entre la gaieté de l’ivrogne ou le sérieux du bigot », Baudoin plaque tout au début des années 80 pour vivre ce qui était au fond une conviction secrète qui l'animait depuis toujours –n’est-ce pas cela qu’on appelle « la vocation » ?- à savoir qu'il dessinerait toute sa vie. « Il n’y a que deux directions possibles dans la vie : soit on la rêve, soit on l’accomplit» explique Félicité, la femme à barbe dans Marguerite de Xavier Giannoli. Baudoin, pour s'accomplir, a donc dû s'émanciper des normes d’un certain carcan social (abandonner son emploi, son rôle de chef de famille) et replonger dans ses intuitions d’adolescents.
Lorsqu’on voit le dessinateur se baigner nu dans un torrent, au milieu des paysages de son enfance (autour de Villar, le village natale de sa mère) on devine combien la vie de Baudoin a pu être influencée par le vent libertaire qui soufflait dans les années 60 et 70. Son rapport aux femmes -« déjà à 14 ans, ça me semblait ridicule d’aimer une seule femme dans toute sa vie », sa révélation free-jazz au Festival de Nice qui lui donne une méthode, une direction pour écrire ses autofictions, son rapport à la danse, à la transe (là aussi, le corps exulte), son intérêt pour la Chine et sa calligraphie (qui contiendrait le rêve d’une langue universelle), tout cela traverse la vie et l’œuvre de Baudoin, freeman de la BD qui, à l’instar de Druillet et d’autres de la même génération, a fait passer la bande dessinée à l’âge adulte.
Le film de Laetitia Carton est une excellente introduction à l’œuvre d’un des piliers de la BD française. Mais c’est aussi un portrait intimiste d’un homme qui, au travers de son art, a cherché à trouver les clefs d’une vie libre.
Guillaume Goujet