Monter sur le toit du monde est un rêve que beaucoup caressent mais que très peu réalisent. D’abord parce que l’ascension de l’Everest reste extrêmement dangereuse –dans la zone de la mort « entre le Col Sud et le sommet » à 8848 mètres d’altitude, « le corps meurt à petit feu » rappelle Rob Hall, le guide de haute-montagne néo-zélandais et fondateur d’Adventure Consultants, joué par Jason Clark- mais aussi parce que l’aventure nécessite de vrais moyens financiers - Beck Weather (Josh Brolin), l’un des alpinistes qui participa à l’expédition de 1996 parle des 65 000 dollars qu’elle lui a coûtés. Bref, un rêve qui coûte ce prix-là, peut devenir le pire des cauchemars.
En tout cas, c’est la vision qu’en donne Baltasar Kormakur dans son film Everest. Certes, les événements qu’il raconte sont tragiques, même si depuis, l’Everest a connu des accidents plus meurtrier, dont la mort de 18 sherpas dans une avalanche en avril 2014. Pour le réalisateur, les grimpeurs de l’Everest sont beaucoup des êtres perdus qui ont une revanche à prendre sur la vie. Il n’y a qu’en haute-montagne que Beck Weather sent disparaître la dépression qui le suit toujours le reste du temps jusqu’au milieu de sa petite famille modèle dans son Texas natal. La japonaise Yasuko Namba collectionne les plus de 8000 comme autant de trophées qui la font avancer dans la vie. Et le facteurDoug Hansen a enfin trouvé dans cette ascension qu’il raconte aux enfants d’une école, un sens qui faisait défaut à sa vie et à son divorce. Dans ce duel avec la montagne la plus haute du monde, c’est surtout l’effrayante vanité des hommes qui apparaît comme principale source de motivations. « Dans quelques heures, tu pourras dire que tu as fait l’Everest » se disent entre eux les alpinistes pour se galvaniser… Et tant pis, si leur vanité les fait passer outre les conseils des guides les plus expérimentés et si leur désir d’y arriver leur fait risquer leur vie et celles de ceux qui les accompagnent.
Everest semble construit pour décourager tous ceux qui, comme moi, avaient rêvé, avec une certaine fantaisie, l’idée de faire un haut sommet au Népal. C’est une expérience inénarrable « puisqu’elle n’est que souffrance » et dépassement de soi. Plutôt que de se faire des films, il faut regarder la réalité en face : démocratiser une telle aventure c’est à la fois dangereux et ça pollue la montagne. Plutôt que de se faire des films, il vaut mieux aller en voir, en 3D, IMAX, pour revivre, presque comme si on était, le mauvais trip de deux expéditions à l’assaut de l’Everest au mois d’avril 1996. Car sur le plan de la 3D, Everest est visuellement efficace ; plutôt que de nous faire des points de vue de carte postale sur le toit du monde (ce qui aurait desservi son propos), le réalisateur l’utilise pour nous perdre dans l’espace et nous donner le vertige… Histoire qu’en sortant, on ait bien compris que certains rêves, quand on les réalise, ressemblent à des films d’horreur.
Guillaume Goujet