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Billet de blog 12 décembre 2019

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Procès de Willy Bardon (2) - Après le verdict le procès continue

AFFAIRE KULIK - SOUVENIR D'ASSISES (2) - Nous avons suivi presque intégralement les 13 jours d’audience du procès de Willy Bardon, assis parmi le public de la Cour d’Assises, venu en masse et parfois de loin. Dans les lignes qui suivent nous témoignons de notre expérience personnelle.

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Le procès de Willy Bardon s’est achevé vendredi soir 6 décembre par un verdict de culpabilité pour l’accusé, condamné à 30 ans de réclusion criminelle, pour enlèvement, séquestration suivi de mort et viol sur la personne d’Elodie Kulik.

Et pourtant rien n’est terminé. A peine la sentence prononcée, les avocats de la  défense ont exprimé devant les caméras leur intention de faire appel du jugement et demandé le dépaysement du prochain procès. L’extraordinaire résonnance de l’Affaire Kulik en Picardie depuis 2002 et notamment la médiatisation du combat de Jacky Kulik, père-courage exemplaire qui traque depuis 17 ans les assassins de sa fille, seraient, disent-ils, des éléments de nature à douter de la capacité des jurés de la Somme à rendre sereinement la justice. Maitres Daquo, Duménil et Bailly ont dénoncé ainsi un verdict prononcé sous  l’empire de l’émotion et non de la raison. Profitant à leur tour de l’écho rencontré par la tentative de suicide spectaculaire de Willy Bardon en plein tribunal, ils ont depuis répercuté dans les media les éléments qui selon eux fragilisaient l’accusation et en vertu desquels ils avaient plaidé l’innocence de leur client et demandé, à tout le moins, son acquittement au bénéfice du doute. Relayés dans la presse, leurs arguments ont relancé le procès dans l’espace public et sur les réseaux sociaux où ils sont nombreux aujourd’hui, qu’ils aient assisté au Procès ou pas, à jeter le doute sur la culpabilité prononcée par la Cour d’Assises.

Illustration 1

Dans L’Heure du Crime, l’émission de Jacques Pradel diffusé sur RTL lundi 9 décembre, on a entendu Michel Mary du Nouveau Détective, régulièrement présent aux audiences, émettre des doutes sur la possibilité de reconnaître une voix sur l’appel d’Elodie aux pompiers (sachant que cette reconnaissance est une pièce maîtresse de l’accusation) ou bien Tony Poulain du Courrier Picard –qui a lui assisté à toutes les audiences- suggérer que le verdict de culpabilité s’était imposé pour ne pas décevoir les attentes de Monsieur Kulik et des habitants de la Somme, traumatisés par la mort d’Elodie. Oubliant même sa déontologie journalistique, Michel Mary a parlé des témoins de l’accusation comme de « délateurs », mot sans doute excessif. S’ils ont effectivement contribué à la condamnation de Bardon, tous ce témoins ont aussi évoqué le conflit de loyautés qu’ils avaient vécu entre dire la vérité de ce qu’ils entendaient et nuire à un frère ou à un ami).     

Si l’on en croit donc ces deux journalistes emblématiques de la presse judiciaire, les jurés auraient donc forgé leur intime conviction non sur de « vraies » preuves « incontestables », mais sur un vieux ressentiment qu’en tant  qu’habitants de la Somme ils nourrissaient contre les auteurs de ce  crime sordide. Quand elle n’est pas appuyée sur une preuve scientifique, l’intime conviction ne serait donc qu’un agrégat d’émotion et de désir de vengeance qui s’ignore. Le doute sur ce premier verdict ainsi distillé dans l’opinion et cette nouvelle médiatisation de l’affaire auront certainement un impact sur le prochain procès en appel. Et nous sommes tentés de dire que les avocats de Bardon ont bien retenu la leçon.

Illustration 2

Au sein de cette discussion post-procès qui tend à décrédibiliser tout le travail effectué pendant les 13 jours d’audiences, l’ex-magistrat Luc Frémiaux, invité lui aussi à réagir sur l’antenne de Jacques Pradel, a opportunément défendu les principes et le processus si singulier qui conduit à une condamnation par une Cour d’Assises. Il a permis de rappeler une chose : la résonance médiatique d’une affaire ne peut invalider le verdict du procès. Les doutes, fussent-ils formulés par des « professionnels » (c’est le mot de Michel Mary) de la chronique judiciaire, écrivant pour des journaux aussi sérieux que Le Nouveau Détective ou Le Courrier Picard, ont le droit de citer (c’est la liberté de la presse) mais ne sont pas de nature à remettre en cause la légitimité d’un verdict prononcé par 6 jurés, encadrés de 3 magistrats professionnels, éclairés par deux avocates générales -dont on ne peut pas dire qu’elles étaient extrémistes- et par des avocats de la défense qui ont eu largement le temps de s’exprimer. La cour d’Assises ne peut s’abstraire du monde extérieur, mais elle fonctionne selon des procédures contradictoires qui garantissent sa neutralité et son indépendance.

Pour ma part, depuis les bancs du public, je peux dire que j’ai adhéré aux conclusions mesurées et convaincantes, énoncées par l’avocate générale Anne-Laure Sandretto dans ses réquisitions. Certes, aucune preuve ADN ou téléphonie, ne désigne Bardon mais mis bout à bout, les éléments de l’accusation ainsi que l’attitude étrange de l’accusé pendant les audiences ont emporté ma conviction et fabriquent  des certitudes. Par ailleurs, sauf à ce que Grégory Wiart (mort en 2003 et formellement identifié sur la scène de crime) ait fait le coup avec un gars qu’il eût rencontré le matin-même (est-ce un crime qu’on commet avec une personne qu’on ne connaît pas ?) et qui, manque de chance, eût une voix si semblable à celle de son compagnon de bringue de l’époque, Willy Bardon, au point qu’un frère ou un meilleur ami s’y trompent (La réunion de toutes ces conditions ayant une probabilité quasi nulle), la justice ne s’est pas trompé de coupable. A moins que l’on considère que tous les doutes sont permis et que l’ADN de Wiart sur la scène de crime soit le fruit d’une manipulation et qu’en fait Grégory Wiart, non plus n’était pas sur la scène de crime, ce qui innocenterait probablement Bardon…  Et finalement qui sait ?  

En vérité, ce raisonnement par l’absurde veut illustrer que même lorsqu’il y a des « super-preuves » comme l’ADN qui signale la trace d’un individu sur une scène de crime, c’est toujours l’intime conviction des jurés qui est en jeu dans la décision finale. La présence de l’ADN de Grégory Wiart sur la scène de crime en 2002  est un fait, mais la présence de Grégory Wiart pendant le viol et le meurtre d’Elodie relève de l’intime conviction que cet ADN n’a pas été placé là par quelqu’un d’autre pour faire accuser le jeune plombier. Bref, les preuves et l’intime conviction marchent toujours ensemble. Elles ne peuvent jamais être totalement confondues, ni jamais dissociées. Il est aussi illusoire que dangereux de rêver d’une justice qui pourrait être rendu par un robot après analyse de toutes les pièces. La justice, ce n’est pas les experts.  

Par ailleurs, tous ceux qui agitent le spectre de l’erreur judiciaire aujourd’hui, en disant que le doute n’a pas bénéficié à l’accusé n’ont, à mon sens, pas assisté au procès où tout ramène sans cesse à Bardon. Ou alors, comme Tony Poulain du Courrier Picard,  ils pensent que le mauvais procès qu’on a fait à Bardon sur son mode de vie, sa vulgarité et son goût pour les femmes –des arguments qui en effet ne prouvent rien et qui qui ont été repris de manière un peu lourdingue par la partie civile dans sa plaidoirie- discrédite tout le reste. On ne condamnerait Bardon judiciairement que parce que certains l’ont condamné moralement. Là encore, c’est allé un peu vite.

Le document par lequel les jurés ont motivé leur condamnation est relativement explicite et intéressant d'en lire un résumé ici .  

En condamnant Bardon pour viol, alors même que rien ne permet de le dire, les jurés de la Cour d’Assises de la Somme ont en revanche surpris tout le monde et fait un cadeau empoisonné à la défense de celui-ci. En effet, ses avocats se sont empressés de souligner l’incohérence d’un jugement qui condamne Bardon du viol et l’acquitte du meurtre, alors même qu’aucune preuve ne dit sa présence sur les lieux du viol et du meurtre.  Mais en soulevant cette incohérence, ils reconnaissent implicitement que l’enregistrement audio sur lequel sa voix a été reconnue par plusieurs personnes de son entourage, constitue bien une preuve de la présence de Bardon sur les lieux de l’enlèvement et donc légitime sa condamnation pour enlèvement et séquestration. Ils rejoignent le point de vue exprimé par l’avocate générale Sandretto dans ses réquisitions : une chose est sure, Willy Bardon a bien participé à l’enlèvement d’Elodie Kulik. Pour cela, il a été lourdement condamné.

 Gloria Grahame

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