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Billet de blog 17 avril 2016

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LES ARDENNES : HARDCORE FOR LIFE

Polar noir, drame social, Les Ardennes est aussi, surtout, un grand film d'atmosphère, une tragédie au son de la marche hardcore. Après Bullhead, la confirmation qu'il faut regarder ce qui se passe du côté du cinéma flamand.

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Il y a plusieurs bonnes raisons d’aller voir Les Ardennes :

La première que je mettrais en avant, parce que c’est celle qui m’a le plus fait plaisir à titre personnel : c’est la bande-son qui reprend pour une bonne partie des standards du hardcore techno des années 90. Pour cette raison, le film devrait plaire au moins à tous ceux qui ont fréquenté les rave-party à cette époque. D’autant que, comme ne l’indique pas le titre, le film se passe pour une bonne partie en Flandres, autour d’Anvers, connu par tous les amateurs de cette musique, comme l’un des berceaux des soirées électroniques et du hardcore techno -région dont est originaire notamment l’une des figures les plus célèbres de ce mouvement musical, malheureusement décédée en 2001, Liza N’Eliaz. Certes, on ne voit personne danser dans le film, sauf, au tout début, fugitivement : en arrivant chez sa mère après qu’il vient de sortir de quatre ans de prison, Kenny, exécute, pour exprimer sa joie de retrouver sa famille, quelques mouvements saccadés qui signale, à coup sûr, celui qui a connu les rave-party et la transe de ses dance-floor. Mais il n’y a même pas de musique à ce moment-là. Non, dans le film, la rave appartient déjà au passé des personnages : elle a disparu en même temps que leur insouciance. Les morceaux qu’écoutent sans cesse Dave dans sa voiture expriment plutôt sa nostalgie d’une période révolue, en même temps que le beat martial hardcore réhausse d’une dimension apocalyptique la destinée des personnages.      

Ainsi, les trois principaux protagonistes du film sont d’anciens ravers, à un moment tombés un peu trop dans la drogue : Kenny a fini en prison, condamné à 7 ans à la suite d’un cambriolage foireux. Quand il sort, au début du film, il retrouve ses anciens complices, plus chanceux, son frère Dave et son ex-petite amie Sylvie.  Eux ont profité de l’incarcération de Kenny pour « se reprendre » et se libérer de son emprise : Dave a trouvé du boulot dans une société de nettoyage, Sylvie travaille toujours dans une immense boîte techno à côté d’Anvers, mais elle ne se défonce plus, va toutes les semaines aux narcotiques anonymes, et a repris une formation de masseuse. Ils sont même tombés amoureux l’un de l’autre mais évidemment, ils n’ont pas su comment l’annoncer à Kenny. C’est la deuxième bonne raison d’aller voir Les Ardennes : la simplicité tragique de la situation posée d’entrée : Comment Dave peut-il annoncer à son frère qu’il vient attendre à sa sortie de prison qu’il lui a piqué sa meuf et qu'elle attend un enfant de lui ? Comment Kenny, le plus fou d’entre eux, peut-il accepter cette double trahison des deux personnes qu’il aime le plus ?

Illustration 2

La troisième raison peut-être qu’il faut entendre et qui aussi fait l’un des intérêts du film, est que la prison ne  sert à rien. Kenny y a perdu son temps, rongé son frein et nourri sa rage ; quant aux deux autres, s’ils se sont sortis de la délinquance et de la drogue, et qu’ils aspirent, de manière rassurante pour la société, à une « vie banale » avec travail, enfant, et routine, ils ont perdu leur innocence en tombant amoureux l’un de l’autre dans le dos de Kenny. Certes, ils ne volent plus, ne se droguent plus, mais  ils sont devenus des lâches.

Les Ardennes est un film particulièrement noir, comme sans issue, dans lequel le désir de normalité sociale est condamné comme le reste. Une autre bonne raison d’aller voir le film est la qualité du casting, gueules cassées, ravagées, des personnages haut-en-couleur comme Steph et Joyce, deux freaks, dealers allumés qui vivent en caravanes dans le fin fond des Ardennes belges, au milieu de la forêt, sous la surveillance des gardes-forestiers et la menace d’un troupeau d’autruches étrangement agressifs.  Par-delà la noirceur de son scénario, Les Ardennes est un grand film d’atmosphère, tirant aussi bien parti de l’ambiance glauque des banlieues industrielles flamandes que de la beauté noire de la forêt ardennaise. Et c’est sans doute, la dernière bonne raison d’aller voir Les Ardennes : le pari que ce premier film de Robin Pront est la naissance d’un futur grand metteur en scène.

GG.

© TIFF Trailers

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