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Billet de blog 20 janvier 2016

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J’avancerai vers toi avec les yeux d’un sourd, Laetitia Carton : Voyage au pays du peuple Sourd.

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Le film s’ouvre par des plans sur un ciel bleu, le soleil à moitié caché par les nuages. Une métaphore de l’au-delà qui ne cesse de planer, toujours à couvert, au-dessus de nos têtes ? Pour Laetitia Carton, cet au-delà, c’est le lieu qu’elle imagine pour adresser une lettre à son ami Vincent,  Sourd, et décédé il y a 10 ans. C’est lui qui lui avait ouvert les portes du monde des Sourds, lui avec qui elle a commencé à comprendre les problèmes rencontrés par cette communauté, lui avec qui elle veut écrire un peu ce film, malgré la mort qui les sépare. Mais il s’agit moins de religion que de fidélité aux idées et de stratégie narrative. Ce ciel bleu en ouverture et en fermeture du film rappelle aussi les plans de ciel du Godard des années 80. Avec le cinéaste, Laetitia Carton partage un certain goût du collage, de Brecht, du film muet, au service d’un cinéma militant. Car la communauté Sourde, pour qui la réalisatrice prend d’entrée fait et cause, est profondément militante. Notamment en lutte morale et intellectuelle avec le discours médical et normatif qui voit la surdité comme un handicap, une déficience que la médecine moderne peut s’efforcer de réparer. Pour l’audition, le fantasme scientifique du corps entièrement réparé se loge désormais dans l’implant cochléaire qui permet de recréer une forme d’audition chez la personne sourde. Un miracle scientifique impensable il y a 30 ans, mais pas non plus une oreille humaine…

Pour la communauté Sourde, être Sourd (qu’on écrit alors avec une majuscule) n’est pas un handicap, c’est faire partie d’un peuple, une minorité, qui creuse une différence dans les pays du monde entier, et qui a inventé sa langue, une langue universelle parce qu’à la fois porteuse des infinies variations du geste et riche des mots de toutes les langues. J’avancerai vers toi avec les yeux d’un Sourd est un film politique qui parle moins d’identité que de différence, d'une autre vision du monde. Quelque part, la langue des signes ne fait que rejouer à sa manière la norme entendante. Sans bruit avec des gestes et une confiance absolue dans les expressions du visage elle redessine notre rapport au monde, et l’enrichit de nouveaux mystères. Elle fascine les entendants mais les Sourds eux restent inaudibles, donc invisibles.  Voilà ce qu’on comprend en voyant le film de Laetitia Carton. Un étrange paradoxe et une situation bien française (Cf l'Itv de Laetitia Carton, Réflexions sur la question Sourde)

Par petites touches, la réalisatrice fait voir l'extraordinaire potentiel de la LSF. Il y a bien sur Levent, le Comédien Signeur qui signe un poème

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Laetitia Carton

sur la Place du Trocadéro, mais aussi Stéphane qui raconte une histoire à ses enfants le soir avant de dormir et qui avec ses mains nous plonge dans un véritable cartoon, à la compréhension duquel les sous-titres deviennent inutiles. On est un peu plus sceptique sur la participation de la chanteuse Camille et ses vocalises un peu faciles et on préfère la séquence d’arrivée du Siècle Sourd à Milan, sur fond de Prodigy… On le sait depuis qu'on a vu les films de John Ford, les communautés se forment, se rassemblent dans la danse. Mais, ici, le son n’est pas assez fort. Comme si le peuple Sourd s’excusait de faire du bruit. Et pourtant, comme il est Sourd, il pourrait se permettre de jouer plus fort, plus violent, au sens plus intense, jusqu'à danser en faisant trembler le sol.   

Guillaume Goujet

Bande annonce © Bandes Annonces Cinéma

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