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Avant d’être l’une des villes symbole de la percée du Front National –en 2014, Florient Philippot échoua de peu à devenir maire- ou même une ville emblématique de la désindustrialisation française au chevet de laquelle le candidat Hollande choisit de terminer sa campagne en 2012, Forbach, c’est d’abord la ville natale du réalisateur : une ville qui le hante (comme on est toujours hanté par ses origines) et une ville dont il a eu honte (comme on a toujours honte de ses origines quand elles nous ramènent à une pauvreté et à une banalité auxquelles on voudrait échapper).
Agé aujourd’hui de 46 ans, Régis Sauder a évidemment évolué par rapport à l’enfant qu’il était. Il n’a plus honte, sinon d’avoir trop longtemps « injustement » méprisé ses origines. Plutôt que d’oublier, grâce à sa caméra, il veut se souvenir. Mais la ville de Forbach, à cause de son passé trouble, de son histoire ne se raconte pas facilement. D’abord parce qu’elle n’a pas toujours été française ; on apprend par exemple que pendant la seconde guerre mondiale sa rue Nationale s’appelait AdolfHitler Strasse. Ensuite parce qu’ici comme ailleurs, le temps détruit tout : cette directrice d’école déplore que le quartier de son enfance, le Kobenberg ait été presque entièrement rasé ; même si enfant, elle y a connu la pauvreté, la misère même, les barres étaient son passé, sa mémoire.
Enfin, aujourd’hui la crise économique plombe Forbach. Pendant le XXème siècle, c’est la mine qui a donné son identité et sa culture à la ville ; c’est la mine qui servait de ciment entre les différentes vagues d’immigration italiennes, polonaises, portugaises, arabes, etc… Depuis qu’elle n’est plus, le chômage s’est installé et les communautés se sont repliées sur elles-mêmes. L’appartenance ethnique a remplacé l’appartenance sociale… Wiesberg, l’ancienne Cité minière au sud-ouest de la ville, reconnaissable de loin avec ses tours rondes repeintes au couleur du ciel, est devenu un ghetto avec une importante population musulmane qui ne se laisse pas facilement approcher, même par un réalisateur forbachien.

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A travers ce portrait d’une ville, Régis Sauder retrouve quelques unes des grandes questions qui agitent le débat politique français ces dernières années : chômage, désindustrialisation, repli identitaire. Soucieux d’éviter les réponses simplistes, le film donne d’abord la parole aux habitants, sans prendre parti. Leurs voix qui nous émeuvent par leur pertinence et leur sincérité sont la matière première de ce documentaire. Mais Retour à Forbach vaut aussi par l’élégance de sa mise en scène : La guitare saturée qui sert de bande son au film -signée Deficiency, un groupe local vraisemblablement- est moins un chant du cygne que l’expression vivifiante, révoltée d’une rage pure et profonde. Quant à la beauté des longs plans fixes persistants sur des humains ou des lieux a priori sans âme, ils rappellent que bien souvent les choses semblent sans intérêt parce qu’on oublie de les regarder.
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