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L’excellent accueil critique réservé à Green Room depuis sa présentation l’année dernière à Cannes dans le cadre de la Quinzaine des réalisateurs, ne laisse pas de surprendre. De L’Humanité au Figaroscope, en passant par Mad Movie ou le Telerama, c’est rare qu’un film de genre, basé sur la peur et la violence soit si bien reçu par l’ensemble de la presse -seuls Libération et Le Monde sont plus partagés, mais nous n’avons pas lu leurs raisons. Sorti mercredi dernier dans 145 salles en France, Green Room bénéficie ainsi d’une excellente distribution, inhabituelle pour un survival. En bon fan de cinéma de terreur, on ne s’en plaindra évidemment pas, surtout que le film de Jeremy Saulnier est effectivement très réussi : suspense, violence, sensations fortes sont au rendez-vous, à tel point que, mercredi dans une salle parisienne, plusieurs spectateurs sont partis avant la fin, visiblement agacés et/ou trop éprouvés par cette confrontation sans pitié entre un groupe de punks anarchistes et une bande de néo-nazis. Si le film s’affranchit des frontières auxquelles on cantonne souvent le cinéma de genre, il ne décevra donc pas pour autant les afficionados de cinéma extrême et tous ceux qui, plus généralement, aiment stresser et sursauter devant un écran.
Avant même d’évoquer le talent de Jeremy Saulnier, scénariste et metteur en scène de Green Room, il faut dire qu’aujourd’hui les films de survie ont la côte : The Revenant (Inarritu )-que j’ai personnellement trouvé plutôt plombant, trop tourné autour d’un acteur), Les 8 Salopards (Tarantino), Desierto (Cuaron fils) sont, parmi d’autres, quelques-uns des films du début 2016 qui exploitent une même question : comment rester en vie dans un monde peuplé de brutes ou de traîtres ? C’est sans aucun doute un symptôme de notre époque, pleine de désillusions et qui malgré (ou à cause de) l’augmentation continue de l’espérance de vie, des progrès de la science, décrit le monde comme un lieu peu sûr dans lequel la vie est perpétuellement menacée par les guerres, la barbarie, la pollution. L’humanité a perdu de sa superbe et se pense aujourd’hui facilement sur le mode de l’espèce qui doit lutter, s’adapter, moins pour vivre que pour survivre. Cette tendance générale ne suffit pas à expliquer la réussite de Green Room. L’un des points forts du film est précisément la manière dont il s’émancipe d’une certaine logique du cinéma de survie. Si la survie animalise, transforme l’homme en animal, Jeremy Saulnier s’intéresse moins à la métaphore qu’à la psychologie de ses personnages ; il traque, avec un évident souci de réalisme, leurs réactions face à une situation violente où leur vie est mise en jeu.

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Membres de Ain’t Right, un petit groupe de punks à l’audience confidentielle, les héros du film de Saulnier sillonnent les routes américaines, de concerts underground en plans foireux. Entre deux dates, ils siphonnent les réservoirs des bagnoles pour faire tourner le monospace dans lequel ils s’entassent avec leur matos. Malgré la galère, ils aiment leur mode de vie alternatif, en marge de la société, qu’ils célèbrent dans leurs chansons, tour à tour brulots anarchistes et hymnes aux camés et détraqués de tout bord. En tout cas, ils ont suffisamment de passion et de rage sur scène pour reprendre Nazi-Punks de Dead Kennedys devant un public de skinheads qui se laissent au départ amadouer par l’énergie qu’ils dégagent sur scène. En quelques minutes, Saulnier présente ses personnages et plante le décor, un univers musical et trash qu’à l’évidence, il connait bien. Il sait que par-delà les postures des uns et des autres, c’est d’abord la musique et sa violence cathartique qui attirent le public en concert et qui ont le pouvoir de réunir sans trop de heurt des anars et des fachos dans une même fosse. Comme toujours, les problèmes commencent quand le concert se termine et que la musique s’arrête. Là tout devient possible, les crispations ressurgissent, surtout quand Pat des Ain’t Right (Anton Yelchin)se retrouve à voir ce qu’il n’aurait pas dû voir.

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Jeremy Saulnier s’amuse sur le décalage entre la rage énergique dont le groupe fait preuve sur scène et la violence réelle qu’il va devoir affronter. Les masques tombent, et nos quatre héros semblent bien démunis, devant des armes ou des chiens dressés à l’attaque pour tuer. Heureusement, c’est un groupe, ils sont soudés. Au-delà de l’efficacité de la mise en scène qui joue sur les effets de surprises, c’est le traitement réaliste des situations qui frappe dans le film et qui facilite l’identification du spectateur. Comme dans Blue Ruin, le précédent film de Jeremy Saulnier,qui racontait la vengeance d’un homme devenu fou suite à l’assassinat de ses deux parents, à aucun moment, les personnages ne se « réalisent » dans la violence, ils restent toujours maladroits et mal à l’aise avec la situation. Enfermés dans une pièce en coulisse du concert, la Green Room, ils comprennent progressivement que s’ils veulent s’en sortir, il va falloir jouer à la guerre.
Impossible d’en raconter plus. Il faut voir Green Room pour sa mise en scène efficace, sa bande-son rock, pour faire connaissance avec les Ain’t Right, et aussi pour découvrir Imogene Poots qu’on n’est pas prêt d’oublier dans le rôle d’Amber.
GG