2020, 37% d’indiens pensent rencontrer des extra-terrestres. Combien de français ?

Chaque année, Ipsos Monde produit son Global Advisor Predictions, un sondage sur les espoirs et craintes dans 33 pays. Leurs commentaires sur leur propre travail est pauvre, le sondeur utilise surtout ces enquêtes comme des plaquettes pour s’attirer des clients, des compagnies mondialisées qui commandent des études sur les marchés anciens et émergents.

La rubrique méthodologie précise ainsi que pour 16 pays sur 33, le sondage n’est pas représentatif de toute la population, mais de sa part la plus éduquée et solvable. Le questionnaire se divise comme les sections d’un magazine : affaires étrangères, société et culture, technologies, vie privée ; uniformisant un consommateur mondial. Les questions posées reflètent en général ce qui agite les médias mondiaux, comme la réélection de Trump ou le nombre de médailles escomptées aux jeux olympiques, il y a aussi des questions plus surprenantes.

37% des indiens interrogés semblent imaginer que nous allons rencontrer des extraterrestres en 2020, comme 30% de saoudiens ou 21% de chinois. Qu’il y ait 9% de farceurs en France est tout à fait plausible, cliquer une case sur Internet n’engage personne, mais pour les indiens ? Cet échantillon ne semble décidément pas partager nos critères sur la réalité, ils sont aussi parmi les premiers à penser qu’en 2020 : les femmes seront autant payées que les hommes (71%), les voitures autonomes se généraliseront dans leur ville (61%), ils utiliseront moins les réseaux sociaux (46%), et l’économie mondiale ira encore mieux qu’en 2019 (83%). Il s’agit pour le moins d’une psychologie positive.

Les résultats d’un tel sondage produisent un tableau à double entrées, une matrice, dont on a de la peine à se faire une idée globale. On peut noter quelques extrêmes, par exemple que l’Arabie Saoudite (54%), les États-Unis (64%), la Russie (67%), l’Australie (70%) ou le Brésil (71%), sont dans l’ordre les pays qui croient le moins que les températures vont augmenter en 2020. Par contre la France (56%), la Grande-Bretagne (52%), la Turquie (46%), Israël (45%) ou la Suède (44%) sont les pays qui craignent le plus de subir un attentat terroriste, ce qui est assez rationnel.

Des formules mathématiques permettent de comparer les lignes (ou les colonnes) d’une telle matrice, afin de calculer un coefficient de corrélation (ici, Pearson). Si l’on prend chaque question, certains pays peuvent avoir des manières similaires d’y répondre, ce qui permet de révéler des proximités sémantiques. Ces distances entre toutes les questions 2 à 2 peuvent être représentées comme un arbre, avec les mêmes algorithmes que pour la classification d’espèces vivantes par leur ADN.

La machine ne comprend rien aux questions posées, elle ne fait que réagir aux pourcentages. Elle peut s’attacher à des traits insignifiants pour nous, ou parfois aussi, révéler des distinctions qui courent à travers les rubriques.

On remarquera d’abord une première division entre un groupe de questions plutôt réalistes, et d’autres qui le sont beaucoup moins. Chacun peut avoir une opinion sur l’année 2019 pour soi ou son pays, avoir une opinion tranchée sur l’année 2020 est plus hasardeux. Ces prédictions peu informées voisinent avec le rêve de voir arriver les voitures autonomes en un an ou de régler les inégalités salariales des femmes.

Un indice interroge sur la représentativité des panels, la réponse sur les extraterrestres est fortement corrélée à l’inquiétude de se retrouver seul en 2020. Cette inquiétude frappe particulièrement les pays émergents (Turquie 57%, Inde 50%, Chine 47%, Malaisie 45%…). Soit le développement économique désocialise les consommateurs urbains, soit le panel d’Ipsos y recrute surtout des geeks peu représentatifs. Un institut local serait certainement mieux informé. On observe là toute la vanité des sciences humaines mondialisées. Souhaitons que les grandes compagnies ou les états ont une meilleure information sur les émergents.

La section rationnelle manifeste deux types d’intérêts : l’économie d’une part, et d’autre part la politique et l’environnement. Pour un spécialiste, la pertinence de cette classification automatique est assez saisissante. Il y a une forte corrélation entre les pays qui craignent le réchauffement climatique et l’embolie de la circulation ; ou bien, un acte terroriste et des émeutes. Cette fiabilité de la procédure encourage à produire un arbre pour grouper les pays, selon leur scores aux questions.

La machine ne va pas reconstituer une carte géographique mais plutôt des groupes qui réagissent de manière similaire.

On isolera d’abord les émergents (Inde, Chine, Arabie Saoudite…) très éloignés de nos critères. Le Japon est en général trop singulier pour bien se classer automatiquement, par exemple les « ne se prononce pas » y sont beaucoup plus nombreux, les seuls chiffres positifs utilisés ici ne permettent pas de le révéler. L’Amérique du sud est assez bien groupée, et plutôt séparée de l’Europe.

La France a les inquiétudes de nos partenaires les plus proches, Belgique, Grande-Bretagne et Allemagne, notamment sur le terrorisme. Espagne et Italie sont rapprochés automatiquement de la Corée du sud, révélant la dépression du vieillissement. L’anglosphère outre-mer, qui n’a pas les problèmes européens du Royaume-Uni, est bien distinguée, accrochant Israël, ainsi que les Pays-Bas. Les retraites néerlandaises sont en effet par capitalisation et très dépendantes des élections américaines. Ces pays partagent des intérêts sur la santé de l’économie financière. La Russie et d’autres pays de l’est sont assez biens regroupés, ils sont rapprochés de l’anglosphère par leur déni environnemental.

Ce type de sondage marketing, qui prend la température des consommateurs, confirme un fait répété, les français sont pessimistes, mais surtout par rationalité. Ils sont bien dans l’histoire, globalement conscients de tous les enjeux économiques, environnementaux, ou sociétaux. Ils sont les derniers à croire, avec les hongrois, les allemands, ou les suédois,  que les salaires des femmes vont brusquement augmenter en 2020. De même, ces pays savent pertinemment que la  voiture autonome n’est pas pour demain, malgré le battage publicitaire. La France partage beaucoup avec ses voisins d’Europe de l’ouest, et dans un dégradé continu se sépare de l’Europe de l’est et de la Russie par des traits de plus en plus irréconciliables. Nous sommes, et resterons, libéraux, non pas au sens financier, mais des Lumières.

Reste un trait qui nous distingue fortement de nos voisins. 79% des français sondés pensent qu’il y aura des émeutes en 2020, et cela semble du bon sens après les gilets jaunes. La Colombie et le Chili sont encore plus convaincus (82%) que leurs manifestations se poursuivront, et forment avec L’Afrique du sud (77%) un groupe à part dans le monde. Sur cette question des émeutes, il n’y a pas de résultats pour Hong-Kong et la Chine, ce qui est en soi une information importante. Les partis de gauche qui rêveraient d’une Révolution mondiale sont dans leurs rêves, le Japon (20%), Singapour (26%), ou le Canada (42%) ne vont pas réagir comme nous.

Par contre, cette proximité de la France avec des états néo-coloniaux sur la révolte en dit long sur l’état de notre société. Notre élite rêve de fortunes financières à l’américaine, elle triangule et fait des feintes, elle se croit plus éclairée qu’un peuple qui a parfaitement compris la réalité du monde.  Le délire de nos élites va essayer de se maintenir par le mensonge et la police, nous n’allons pas rire tous les jours dans les années qui viennent, mais le peuple a déjà raison, et il le sait.