Sortons les raisons psychologiques, possibles mais sans intérêt politique
Depuis que Mélenchon a été perquisitionné, il pense qu’il est persécuté pour ses idées politiques et l’espoir populaire qu’il pense porter. Il n’a pas été nécessaire de le mettre en prison pour le casser, il s’est brisé tout seul, malheureusement ; ne montrant pas la grandeur d’âme et le sang-froid de Gandhi, de Mandela, ou même de Lula.
Il a pu ressentir dans sa chair ce que Ghosn a subi, car en effet, la procédure judiciaire japonaise ne correspond pas à nos standards. Ce n’est pas la cause, mais la conséquence d’un taux de criminalité très bas, et d’une grande xénophobie. Le contrôle social est élevé, la tolérance à l’infraction est faible, la justice est dure, le Japon n’a pas aboli la peine de mort. Leurs institutions ont une histoire très différente de l’Europe, où le droit de la personne est au fondement de la religion et des lois. Beaucoup de japonais souhaitaient que l’affaire soit l’occasion de faire le procès de leur justice, mais Ghosn a trahi le Japon qui en avait pourtant fait un héros.
Il vaut mieux qu’il soit protégé par un plus grand pays s’il veut dormir. La France l’a-t-elle aidé ? Mélenchon ne peut pas s’empêcher d’avoir de la sympathie pour les “grands” patrons français, par exemple l’avionneur Dassault, avec lequel il a du négocier quand il était sénateur de l’Essonne. Son patriotisme industriel, et peut-être de la défiance à l’égard du Japon, suffirait à expliquer son soutien à l’évasion de Ghosn.
Ghosn, prisonnier politique d’une dictature ?
Le raisonnement de Mélenchon semble se tenir, les droits de la personne doivent être pour tout le monde, que l’on soit puissant ou misérable. Mais Ghosn a-t-il été traité autrement que d’autres justiciables japonais ? Il semble que non, c’est donc la justice japonaise que Mélenchon critique. Le Japon serait-il comparable à une dictature d’Amérique latine ? Il y a au Japon 45 détenus pour 100 000 habitants, contre 103 pour la France, 320 pour le Brésil, 510 pour Cuba, 666 pour les États-Unis. Que leur procédure soit perfectible, beaucoup de japonais le pensent ; mais la France n’a certainement pas de leçon à donner, avec l’état de ses prisons et le nombre de justiciables enfermés dans l’attente d’un procès, parce que la justice est surchargée, par l’organisation de son étouffement financier.
Imaginons donc que l’affaire se soit déroulée en France ou un autre pays dont la justice est légitime aux yeux de Mélenchon. Ghosn est-il un simple individu, un justiciable comme les autres ? Est-ce le prisonnier politique d’une cause ? Oui, celle des hyper-riches. Sa gestion de Renault-Nissan a été encensée par toute la presse d’affaires, il a organisé la pression sur les salariés, aboutissant à des suicides au technocentre de Guyencourt. Ses abus de biens sociaux en dépenses somptuaires pour ses résidences ou ses fêtes à Versailles ne sont pas seulement un préjudice financier pour son entreprise, c’est la mise-en-scène de sa supériorité et des inégalités sociales. Le juger comme les autres, c’est mesurer la portée de ses actes. Si Ghosn avait été traité comme tout le monde en France, par exemple mis en préventive dans une prison normale et non un établissement pour VIP, il aurait tout aussi bien réussi à s’évader pour le Liban.
« Les droits de la défense ne s’appliquent pas selon des critères de classe… », sauf que les justiciables riches ont bien plus de moyens pour se payer des avocats, corrompre les juges, ou s’évader. La fuite de Ghosn donne a posteriori raison à la justice japonaise, s’inquiétant qu’il puisse se soustraire à son procès. Mélenchon tient ici le discours des Lumières d’avant 1789, des droits abstraits, évitant les rapports de force réels. Un matérialiste mesure bien qu’il y a une justice de classe. Une fausse symétrie entre milliardaires et pauvres ne donnent pas de droits supplémentaires aux pauvres, mais le droit de s’évader aux riches.
Mais que veut Mélenchon ?
Ce soutien de Mélenchon à l’évasion de Ghosn semble indéfendable. On a beau la retourner dans tous les sens, l’analyse critique en sort des conclusions pires encore que la première impression. Parce que ce PDG, qui n’est pas propriétaire de son entreprise, semble lâché par l’exécutif actuel (en tous cas en apparence), Mélenchon a-t-il voulu le défendre pour prendre le contre-pied de Macron et faire parler de lui ? Il aurait pu être plus inspiré. Il ne reste plus qu’une seule solution pour le défendre, lui pardonner cette bévue parce qu’il aurait trop de cœur. En conséquence, il n’a pas les nerfs et le jugement pour la fonction de président à laquelle il prétend, et il a ici failli à sa mission d’éducateur populaire. Ou alors, il enseigne à ses soutiens la souplesse de la dialectique, le chef a toujours raison, et quand il a tort en apparence, c’est qu’il faut chercher la raison.