Les observateurs du régime de Vichy n’avaient pas la liberté que nous avons encore de nous consterner. Il est désormais sûr que le haut commissaire qui doit détruire le système des retraites par répartition est malhonnête, qu’il travaille pour des intérêt étrangers au contribuable, notamment les assureurs et autres grands patrons. Martine Orange nous a sondé ses turpitudes. Le gouvernement n’estime plus nécessaire de préserver les apparences de la constitution, par arrogance, et faute de remplaçant sur les bancs. Les rats fuient le navire, et personne ne veut reprendre un dossier aussi technique. Les retraites, c’est chiant, ça prend la tête. Des gens mieux informés pensent que ce commissaire sera offert à la colère publique au soir de la grève de ce mardi 17 décembre 2019. Est-ce bien nécessaire ?
Protégé par les institutions présidentielles, l’exécutif n’est contraint que par la décence, et il a déjà piétiné toute bienséance en soutenant le petit voyou Benalla. La loi n’est rien sans les mœurs, ainsi la constitution soviétique était l’une des plus démocratiques au monde, en tous cas dans le texte, tandis que le Royaume-Uni n’est formellement qu’une monarchie, sans constitution écrite, mais les droits de la personne y sont respectés. Brutaliser l’esprit des lois ne demande aucun génie, il suffit de n’avoir rien compris à l’histoire et se croire investi d’une mission. Macron n’est pas un fasciste comme Mussolini ou Hitler, il ne veut pas une guerre, mais il partage avec eux, ou un Trump, de ne pas respecter les institutions, de ne pas se mettre à leurs service, mais de s’en servir, pour les intérêts les plus vils. Puisqu’il se moque de ce qui se fait ou pas, quel est son intérêt ?
Au soir de mardi, toute cette belle théorie peut s’effondrer, prenons donc le risque d’être réfuté par les faits, pour justement améliorer la théorie. Soutenir le commissaire contre l’évidence de son improbité permet à l’exécutif d’affirmer un peu plus son modèle de société : les grands font les lois et ne sont pas tenus de les respecter, et si le peuple s’indigne, on lui envoie des grenades. Car en méritocratie, ceux qui ont les places les mérite, par principe, et ces talents peuvent bien avoir quelques travers de vénalité, d’ailleurs, gagner beaucoup est en soi une vertu. Soutenir publiquement les vices du commissaire permet aussi de resserrer les rangs, comme une mafia. Vous pouvez faire ce que vous voulez, pour peu que vous restiez fidèle au chef, vous serez toujours soutenu, car le chef est la raison dernière de ce gouvernement. Il est le but en soi, il ne s’incline devant aucun principe.
Si l'exécutif lâchait son commissaire aux foules, est-ce que cela pourrait calmer quelque chose ? Non. Il n’y aurait aucun plaisir à dépecer cette figure atone de la technocratie. Pour qu’un supplice frappe le peuple, il faut lui montrer une tête haïe, et surtout, faire croire qu’a été extirpée la tumeur du corps gouvernemental. Si cet individu est lâché, le peuple va au contraire sentir sa force et en vouloir un autre, puis un autre, et un autre encore jusqu’à basculer dans l’état d’urgence. Parce qu’en effet ce commis d’État n’est pas pire que les autres, il est comme les autres, donc c’est tous, ou aucun. Nous voilà comme en Algérie, au Liban ou au Chili, mesurant la corruption systémique de tous les pouvoirs. Il ne reste plus à l’exécutif d’en prendre acte, et de s’affirmer malhonnête, mais puissant ; achevant de corrompre le sens des mots.
Est-ce qu’il y aurait mieux à faire ? Un président lucide à la hauteur de la situation historique s’apercevrait qu’il n’a pas de chance. Il aurait bien voulu venir avant, ou après, mais c’est tombé sur lui. L’effondrement climatique arrive, de toute façon. La startup nation est une foutaise énergétique et sociale, alors que faire, maintenant ? Macron devrait profiter de son image de banquier pour bousculer la donne autrement plus efficacement que Trump, en annonçant qu’il ne rembourse plus la dette. Fini, il arrête. Comme un coup de feu dans un concert, selon son imaginaire scolaire de Stendhal, il fait sauter la banque avant les autres. Rapidement, il profite de ses derniers services publics efficaces pour assurer la survie matérielle des gens, il est haï des capitalistes et des épargnants, mais vu qu’il n’y a personne d’autre, la France se serre autour de lui pour traverser l’orage planétaire. Effondrement de la finance, du commerce mondial et donc de la production industrielle, il pourrait sauver la planète, tout seul.
Il est à craindre que ce président n’a aucune ambition historique, et qu’il va faire le travail qu’on lui a demandé sur les comptes sociaux, avec astuce et rouerie. Il laissera les institutions dans un état prêt à accepter n’importe quel démagogue, et toujours plus de dépression sociale.