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Une mairie informe ses administrés de ses futurs travaux, c'est tout à fait légitime. Le #TourcoingInfo du 15-22 mars 2018 (p.5) utilise le procédé populaire de la photo avant-après, pour bien convaincre de l'urgence à tout refaire. On notera tout de même que la comparaison entre gauche et droite n'est pas très honnête. Le futur est une image de synthèse, avec un soleil calculé par ordinateur. Le présent est une photo en grisaille naturelle, par © Emmanuel Ducoulombier, sciemment prise en jour rasant, pour que toute la place soit dans l'ombre. De loin, on peut deviner que le pavage «à la flamande», avec des motifs, n'a pas résisté à la circulation des voitures. Mais cette couverture est normalement prévue pour des zones piétonnes, et les gens pèsent rarement une tonne et demi. Mais pourquoi avoir pris la photo en hauteur, depuis une tour de l'église ?
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À hauteur de tourquennois, lorsque l'on prend une photo banale, sans effet ni compétence, on ne voit plus du tout la même chose. La fontaine est décorée de statues, des marches dessinent une surface à taille humaine, et surtout, il y a des arbres. Le projet est donc critiqué localement, mais le plus inquiétant est de montrer ce que signifie cette esthétique virtuelle.
Premièrement, rasons tout. La beauté selon monsieur le maire serait une image de synthèse, fabriquée par une agence privée, payée pour lui plaire, et pour le faire valoir auprès des électeurs. Le coût n'a aucune importance, pourvu que les travaux ne soient pas faits par des agents publics, qui critiquent et se plaignent, mais par des entreprises privées, qui servent.
On aurait pourtant pu revoir le pavage en l'adaptant aux voitures, nettoyer les bacs de verdure, redresser un peu le lieu comme on taille un arbre pour qu'il pousse mieux. Et si ces espaces devenaient trop agréables, attirant des oisifs qui importunent les consommateurs solvables, pourquoi ne pas payer des agents municipaux pour pacifier l'ambiance ? Mais ça ne se voit pas assez. Ce maire n'espère pas être retenu par un souvenir chaleureux dans les mémoires, il veut marquer sa ville. À cette mesure, les bombardements ont plus marqué la région.
Moderne : ce qui se démode ; comme la “vidéo-protection”
Le magazine municipal ne cache pas le projet social : « mise en place de bornes automatiques situées aux entrées de rues piétonnes et reliées aux caméras de vidéo-protection. Le tout dans un ensemble plus moderne et épuré ». Ce projet épuré est aussi moderne que les pyramides égyptiennes et les conditions de travail pour les construire. Cette vieille modernité se pare de technologies déjà démodées, comme la vidéo-protection, doux nom pour espionnage public. Et pourquoi pas de la smart city, avec intelligence artificielle et wifi gratuit (pour repérer les téléphones qui passent) ? Il a rasé les recoins à racaille et pavé un formidable skate park.
On savait que monsieur Darmanin avait une conception personnelle de l'amour, il a aussi son idée de la beauté, qui rime avec propreté. Il ne s'agit surtout pas de faire un procès à ses origines populaires (une mère femme de ménage), on sait comment le goût sert à la distinction sociale, mais sa modernité virtuelle est justement le projet des élites dominantes mondialisées, une trahison de sa classe, et de sa ville. S'il avait seulement visité le musée de Tourcoing, le MUBa Eugène Leroy, il aurait compris comment sent un flamand français. Ce peintre moderne (1910, Tourcoing - 2000, Wasquehal) ne cherche pas le propre, mais le riche, le vivant.
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L'huile d'Eugène Leroy est incroyablement lourde. Cela ressemble, pour ceux qui ont pu le voir en réalité, à la matière de Monet dans les cathédrales de Rouen. Mais le tourquennois n'est pas un impressionniste, il ne célèbre pas la nature, sa recherche ne s'arrête pas aux apparences. Il cherche une lumière intérieure, intérieure à lui, et intérieure à la peinture. Il raconte comment il a été pour toujours terrassé par des icônes vues en Russie : les fonds d'or. Paysages, nus, portraits, le motif n'est qu'un prétexte pour retrouver cette lumière éternelle qui persiste toujours cachée, car sinon, elle nous brûlerait.
Monsieur le maire ne semble pas s'inspirer de Leroy. Quand sa place de synthèse deviendra réalité, il y aura des malfaçons, un matériau glissant quand il pleut, des lichens et des mousses, des herbes entre les pavés. L'image aura menti, le passé aura été détruit et tout va mal vieillir. Entre temps, le pic pétrolier rendra les voitures inutiles, et compliquera beaucoup les nouveaux travaux. Il ne restera rien de monsieur le maire, tandis qu'arbres et pelouse continueront à pousser. Il faudrait élever les villes comme des jardins, qui ne vieillissent pas mais grandissent.
La beauté, c'est du temps, c'est du soin, de l'humain.