Écologie urbaine, pollution d'un étang de pêche

La nouvelle peut tomber dans beaucoup de journaux locaux : « Les poissons meurent par dizaines, l’étang de pêche fermé. Ce samedi midi, l’étang de pêche du parc urbain a été fermé pour une suspicion de pollution. Plus de 100 kg de poissons morts ont été retirés depuis ce matin. Des prélèvements doivent être effectués lundi » (La Voix du Nord, 14/04/2018). Les résultats devait arriver jeudi, aucune nouvelle dans le journal. J'ai donc contacté Gérard Lecoutere, président de l'union des pêcheurs lommois, qui a bien voulu me répondre un samedi, de manière plus franche que la prudence habituelle d'une communication municipale. Mais avant, il faut comprendre où se situe cet étang, comment il est imbriqué dans un morceau de pays très représentatif de sa région.

Lille est une métropole régionale française dans une plaine, qui n'est pas au bord d'un grand fleuve ou de la mer, elle s'étend dans toutes les directions, des routes partent de partout. Ainsi ce petit étang se retrouve coincé entre la ligne de train à grande vitesse vers Calais et Londres, une rocade reliant l'autoroute de Dunkerque et celui de Bruxelles, un terminus de la ligne de métro automatique (Saint Philibert). Ce polygone était initialement occupé par le Château d'Isenghien, un manoir qui s'est cherché une noblesse au XV^e siècle mais qui au XIX^e n'était que la maison de campagne d'un bourgeois de Lille. La propriété a été rachetée par la commune en 1985 pour en faire un parc d'attractions et un centre commercial. L'hypermarché est florissant, le château héberge le plus grand cinéma multiplexe d'Europe, le parc n'a jamais marché, l'étang en est un reste.

Quand on est né là, on se fait une idée toute relative de la nature. Le textile ou la sidérurgie sont partis à l'autre bout du monde, la région a conservé une industrie non délocalisable : les zones commerciales. Auchan, Décathlon, Leroy-Merlin, toutes les enseignes du groupe Mulliez forment ici une religion, qui a même son église, l'€glise de la Très Sainte Consommation. On penserait qu'un supermarché pollue moins que la chimie (qui imprègne bien des sols de la métropole), il reste pourtant beaucoup de voitures. Il y a quelques années, l'étang a perdu tous ces poissons à cause d'une fuite depuis la pompe à essence, l'étang a été curé, le circuit hydrographique a été revu, des bassins de rétention ont été creusés. On se croyait protégé depuis la réouverture au printemps 2015. Ici, la nature a été perdue depuis longtemps, c'est un aménagement pour la retrouver, elle est humaine.

La mairie de Lomme a réagi très rapidement en commandant des analyses. En attendant les résultats, les pêcheurs espèrent que la pollution ne concerne que l'eau, qu'il ne faudra pas de nouveau fermer l'étang pour le curer, que le produit s'évacuera avec les prochaines pluies. Chacun voyant la propreté à sa porte, où vont partir ces eaux contaminées ? Malheureusement, la pente va vers un ruisseau et des fossés bordant des terres agricoles, dans une autre commune beaucoup plus petite (Lompret). Au prix des analyses, plusieurs milliers d'euros, Lompret n'aura pas les mêmes moyens.

Débrouille de la pauvreté, la mécanique de rue

Selon la nature du produit, il y a un risque qu'il ne soit pas possible de poursuivre un pollueur, s'il s'agit notamment d'hydrocarbures. En effet, les parkings sont régulièrement occupés par des gens du voyage, ainsi que les cow-boys du tuning, qui y font leur rodéo du samedi soir. Les riverains doivent régulièrement s'endormir dans les hurlements de moteurs. La mécanique de rue au noir est une activité florissante de la métropole, en croissance aussi rapide que la pauvreté et le prix des garagistes, mais elle a peu de conscience écologique. Si les analyses vérifiaient cette hypothèse, on imagine l'imbroglio politique que l'on pourrait produire, le FN dénonçant les roms, les bobos méprisant les tuners, et la collectivité cherchant à faire payer des travaux à la zone commerciale, pour qu'elle garde ses pollutions, tandis que l'entreprise accuserait les pouvoirs publics de ne pas faire la police.

En attendant les résultats, un grand merci aux pêcheurs de ne pas se décourager. Ils veillent sur l'environnement, une véritable écologie populaire, soutenue par la municipalité.