Le communautarisme athée

On ne fait pas de sociologie avec des anecdotes, un cas n’est pas une statistique, mais faute d’une science universelle de toute la population en temps réel, une rencontre peut amener à se poser des questions. Les réactionnaires qui inquiètent les populations avec le communautarisme musulman n’ont pas l’air de mesurer que cette communauté, l’Oumma, rassemble bien plus de continents qu’une France qui se rabougrit. L’islam est évidemment très différent d’un pays à un autre, mais l’islam français, historiquement très maghrébin, n’est il pas, pour certains jeunes, un universalisme ?

Je revenais d’Angleterre en car, le moyen le moins cher, une population autrement plus jeune et colorée qu’un train Eurostar. 3 jeunes amis portant la chéchia se sont assis derrière moi, ils retournaient en banlieue parisienne nord. Leurs conversations étaient très intéressantes. Ils avaient le costume et l’attitude de la piété, avec aussi la légèreté de leur âge. Ils se disputaient parce qu’ils avaient failli rater le bus.

« Heureusement que j’avais dit 12h40 sinon tu serais encore à jouer au légo ! »

Ils étaient dans la famille du français originaire du Pendjab, qui est resté jusqu’au dernier moment pour jouer avec des enfants, ce que les autres lui reprochaient. Celui d’origine française semble avoir rendu visite à une amoureuse, qui lui téléphona pour lui demander où il était parti, il expliqua qu’il avait pu trouver une affaire, un billet de bus pas cher, et qu’il reviendrait le plus vite possible, pour un romantic breakfast. Les 2 se moquaient du marocain, « c’est un mage ». En effet, plus tard dans le voyage quand les autres dormaient ils s’est écrié : « je faisais ma prière et au moment de finir, vous savez ce que j’ai vu sur la pendule du bus ? », « alors, vous savez ? », « 18h18 ! ». Petit à petit en se réveillant il commencèrent à le blaguer, « C’est un signe, c’est certain. Après il y a 19h19, 22h22, et puis 20h20 ! Ça veut dire 2020 ! C’est cette année ! »

La tentation superstitieuse est tout à fait réelle dans l’islam. Il suffit de fréquenter les réseaux sociaux pour s’apercevoir que le monde entier n’a pas partagé nos siècles de clergé catholique combattant le paganisme et la sorcellerie. Les lamentations contre le complotisme de journalistes vendus, ou les mauvaises notes d’une école en échec, ne sont pas rassurantes pour l’avenir du bon sens. Mais si je ne partage rien de la religion de ces jeunes, leurs manières par contre, à 30 ans de distance, m’ont semblé très familières. J’ai aussi voyagé longuement en train, en bus, en stop, avec des copains qui m’ont rabroué dans me lubies, comme j’ai du aussi le faire, mais on oublie plus vite les coups qu’on donne que ceux qu’on reçoit. La sociabilité française est la source de notre mauvais esprit, et de notre incrédulité.

« On est français, mais lui il est un peu marabout »

Dans beaucoup de milieux en France, que cela soit à l’usine, au chantier, ou à l’université ; on se fait charrier. Dès qu’on parle, ou que l’on écrit, comme ici, on sait que beaucoup de gens se foutent de vous par derrière. La France est un perpétuel village qui vous bave sur le dos. Les originaux qui s’en sortent évitent difficilement les blessures psychiatriques, en tous cas, ils sont plus vite reconnus à l’étranger qu’ici. Quand on a vécu un peu dans d’autres pays, on découvre comment chaque culture résout différemment la variété des caractères, l’amitié, et les conflits.

Une religion, que ce soit l’Islam ou le bouddhisme, peut-elle changer cette manière dont les gens sont ensemble ? Décidément, non, rien n’y fait. La rencontre de ces 3 jeunes m’a beaucoup rassuré sur l’avenir de l’islam en France. Tant que les jeunes passeront par notre lycée un peu industriel et militaire, ils se frotteront assez pour ne pas s’enfermer dans un intégrisme étroit. Ils croient, c’est certain, mais ils ne peuvent pas s’empêcher d’avoir la moquerie voltairienne, si bien que leur foi passe par la critique du bon sens, et doit s’abstraire. Le christianisme en France a eu, comme ailleurs, une histoire singulière ; l’islam l’aura aussi. Les démagogues pour retraités qui font peur avec le communautarisme feraient mieux de réviser l’histoire religieuse de leur pays, et devraient plutôt se demander si ce n’est pas eux qui sont dans le repli communautaire et le refus de la France.

« Dans le Coran, il n’y a pas les noms des pays, c’est pour le monde entier en fait »

L’athéisme étroit est une secte de croyants, généralement blancs et diplômés, qui se prennent pour des élus et se sentent le droit de mépriser le reste du monde et de l’histoire pour avoir lu Voltaire ou Marx. La carte ci-dessus vient de l’institut américain de sondages Gallup, elle montrerait les pays qui revendiquent le plus l’athéisme. La Chine y est importante, mais la liberté religieuse y est-elle assez respectée pour que l’athéisme soit un choix ? Le shintoïsme japonais est peu sensible à l’existence d’un dieu personnel, mais est-ce l’absence de divinités ? Bref, ces sondages sont difficilement concluants, mais ils ne peuvent pas cacher que la communauté des athées est assez étroite.

L’islam en France n’est pas plus communautaire que ne l’a été l’Église catholique, on peut même lui soupçonner la même intention universaliste d’être la religion unique pour le pays, ce qui évidemment inquiétera encore plus les idéologues pour retraités. La secte des athées veut s’attaquer à l’expression des religions, elle répète comme un mantra que c’est un opium, oubliant de lire le texte de Marx avant :

La religion est la théorie générale de ce monde, sa somme encyclopédique, sa logique sous forme populaire, son point d'honneur spiritualiste, son enthousiasme, sa sanction morale, son complément solennel, sa consolation et sa justification universelles. Elle est la réalisation fantastique de l'être humain […] La détresse religieuse est, pour une part, l'expression de la détresse réelle et, pour une autre, la protestation contre la détresse réelle. La religion est le soupir de la créature opprimée, l'âme d'un monde sans cœur, comme elle est l'esprit de conditions sociales d'où l'esprit est exclu.
Elle est l'opium du peuple.
(Marx, 1843, Critique de la philosophie du droit de Hegel)

L’Islam en France est une « théorie générale de ce monde […] sous forme populaire », c’est la reprise imaginaire de l’universalisme français, parce que notre histoire est en panne. Les musulmans ne sont pas la cause d’un mal mais l’expression d’une détresse dans un monde soumis par les chiffres, sans honneur et sans beauté. Redonnons de l’avenir aux jeunes hommes et aux jeunes femmes, un rôle utile dans le monde, et la religion reviendra à une affaire privée de la personne avec sa mort.