« On observe que les inégalités de réussite scolaire ne sont pas expliquées complètement à partir des inégalités économiques. Le capital culturel est l’idée que nous héritons de notre famille pas seulement des moyens matériels, mais nous héritons des instruments de connaissances, d’expressions, des savoir-faire, des savoirs, des techniques, des manières de travailler…Des tas de chose sont transmises inconsciemment par la famille et contribuent énormément à la réussite scolaire…d’autant plus que le système scolaire les exige bien souvent sans les donner. »
Pierre Bourdieu - Entretien pour Chercheurs de notre temps 1991
Le monde est-il ainsi, si injustement fait ? Pour moi, c’est une désillusion immense. Ma rencontre - qui s’avéra en fait être des retrouvailles - avec les travaux du sociologue m’a frappé de plein fouet. La pertinence et la justesse de son discours sur la hiérarchisation des classes sociales, une hiérarchisation notamment entretenue par l’école, se sont mises à raisonner si fort en moi que je n’ai eu d’autre choix que de me réveiller. Comment ça ma culture primaire n’est pas adaptée à la pédagogie qu’on m’a d’abord imposé, et puis que j’ai choisi !? Comment ça, mon capital culture n’était pas assez bien pour prétendre au modèle de réussite ethnocentré qu’on nous vend dès la primaire ?! La désillusion que j’éprouvais en (re)lisant Pierre Bourdieu prenait racines dans un mélange de fierté et de colère. Comment ai-je pu être aussi naïve ? Comment ai-je pu croire en l’égalité des chances ? Quand tu es mal né·e, tu dois tout le temps être à 400 % de tes capacités ; alors qu’on concède aux « bien nés » de n’être qu’à 50 %.
Je m’appelle Tania Gombert. Je suis flanquée du triple fardeau d’être une femme, racisée et née pauvre… Donc bien sûr, ces codes injustes et cette hiérarchisation défavorable, je n’y ai pas échappé. J’y ai été confronté toute ma vie. Je me suis prise la porte du club des élites en pleine face et pourtant… Je n’ai eu de cesse d’y vouloir mes entrées.
Dès l’âge de trente ans, j’intégrais les instances de directions… Mais ça n’a pas toujours été ainsi et c’est en toute humilité que je souhaite partager la relation intime et houleuse que j’ai entretenue durant de nombreuses années avec cette injuste hiérarchie sociale, celle pensée à travers le prisme de la culture et de l’éducation, dans laquelle j’ai fini par me faire une place agréable.
Il n’y a, je crois, pas de secrets à la réussite si ce n’est le travail, l’audace et la ténacité. Je ne dis pas que ça suffit, malheureusement. Souvent être le fils du cousin de celui qui compte aide aussi énormément. Mais si vous êtes issu·e d’une minorité, quelle qu’elle soit, que vous venez d’un milieu défavorisé, que vous n’êtes le fils du cousin de personne, alors c’est la recette qu’il vous faudra suivre pour espérer vous démarquer et quitter la boite dans laquelle on vous a enfermé·e… Du travail, de l’audace et de la ténacité. Je sais de quoi je parle… Rien ne me prédisposait à la vie que je mène aujourd’hui. Malgré mon éveil brutal sur l’inégalité des chances, je ne crois pas au déterminisme, je crois en la détermination.
J’ai passé des années à emmagasiner une culture dite « générale » dans le seul but de grimper l’échelle sociale et de me mettre financièrement à l’abri. Un bourrage de crâne en bon et due forme d’une culture reconnue par ceux qui gouvernent comme « supérieure ». Mais supérieure en quoi ? En remplissant de ce savoir imposé le bagage culturel qui me permettrait de « réussir », j’ai inconsciemment vidé un autre bagage, celui transmis par ma famille, ce bagage qui faisait toute mon authenticité.
Et pourtant, je ne remercierais jamais assez l’école de la République, qui m’a permis d’accéder à cet ascenseur social, même s’il s’avère que cet ascenseur est en réalité une échelle avec quelques marches cassées…
Avec de la détermination, certes en doublant les doses, je suis cette petite fille devenue femme, qui a défié les pronostics de sa destinée car elle a eu accès à l’EDUCATION.
Comme l’a dit Nelson Mandela : « L'éducation est l'arme la plus puissante pour changer le monde. »
