Oui, le 8 mars est passé, pour autant, le combat pour l'égalité doit-il pas respecter un calendrier, et s'estomper après cette date ?
Oui, Le 4 mars a marqué un tournant, inscrivant la liberté d’IVG dans la constitution française — un progrès à célébrer, mais est-ce la fin du chemin ?
Je vous convie à une immersion dans l'existence féminine, là où les chaînes de la biologie et de la culture ont longtemps dicté notre place, nous reléguant au simple rôle de génitrices.
Je vous invite à plonger avec moi dans cette réflexion à travers mon article. En ces jours post-8 mars, dénouons ensemble les paradoxes de notre temps et redéfinissons ce que signifie vraiment l'égalité.
Chaque année, le 8 mars incarne bien plus qu'une date sur le calendrier, c'est une célébration mondiale – la Journée Internationale des Droits des Femmes. Cet écho annuel de luttes et de victoires rappelle l'inépuisable combat pour l'égalité, un combat qui semble paradoxal quand on pense que les femmes, loin d'être une minorité, constituent la moitié de l'humanité. En Europe, elles sont même majoritaires, représentant 51 % de la population.
Comment est-il possible que cette majorité soit perçue et traitée comme une minorité ? Que s'est-il passé pour que l'évidence de nos droits doive être rappelée, encore et toujours ?
De la grève des ouvrières à la reconnaissance mondiale : le cheminement du jour de la femme
L'histoire de cette journée spéciale est jalonnée de luttes et de victoires, de la grève des ouvrières du textile à New York en 1857, en passant par les premières célébrations du "Women's Day" aux États-Unis en 1908, jusqu'aux manifestations en Russie pour "du pain et la paix" en 1917. La reconnaissance officielle par l'ONU ne survient qu'en 1975, suivie de près par la résolution de l'Assemblée générale en 1977, incitant à la célébration annuelle. En France, la première célébration a eu lieu à Paris en 1974, et l'officialisation par le gouvernement en 1982 vient renforcer son importance nationale.
Aujourd'hui, cette journée est une tribune pour reconnaître les progrès accomplis, réaffirmer la nécessité de poursuivre le combat pour l'égalité, sensibiliser aux inégalités persistantes et promouvoir l'égalité des droits et des chances.
Elle s'inscrit dans un contexte où, en 2023, les femmes constituent 49,6 % de la population mondiale. Pourtant, seulement 11,3 % des pays sont dirigés par des femmes selon ONU Femmes, et la représentation féminine au sommet des entreprises reste faible, avec 6 % des PDG mondiaux étant des femmes, d'après la 6e étude mondiale d'Equileap.
Les inégalités et les violences à l'encontre des femmes persistent à l'échelle planétaire. D'après l'Organisation Mondiale de la Santé, une femme sur trois a subi de la violence physique ou sexuelle. Aux États-Unis, la remise en question du droit à l'avortement marque un recul significatif dans la lutte pour les droits des femmes, mettant en péril la santé et les libertés individuelles. La traite des femmes reste un fléau global, en particulier dans les zones de conflit.
Nous sommes femmes, et nous incarnons la moitié de l'humanité. Comment se fait-il que nous soyons encore confrontées à une telle injustice, une telle iniquité, une telle persécution ?
Au cœur de l'inégalité : la valence différentielle des sexes
L’anthropologue Françoise Héritier a consacré tous ses travaux à essayer de comprendre les mécanismes qui sous-tendent la valeur attribuée différemment aux sexes. Sa question, aussi simple qu'elle est cruciale, défie les fondements de notre société : "Est-ce que la différence des sexes légitime leur inégalité ?"
Dans sa quête, elle a mis en exergue la "valence différentielle des sexes" – une dissymétrie profonde, biologiquement enracinée mais culturellement amplifiée, qui consacre les hommes et relègue les femmes. Son œuvre dissèque l'impact de cette distorsion sur des institutions clés comme la famille, le mariage, la sexualité et le pouvoir. Elle n'a pas seulement étudié cette valence ; elle l'a combattue.
Force est de constater qu’au fil de l’histoire et partout dans le monde, cette inégalité existe et demeure. Quelle est sa corrélation avec le sexe ? La différence n’est pourtant pas l’antonyme d’égalité… Françoise Héritier est remontée jusqu’à la préhistoire pour formuler sa théorie. Selon elle, « le privilège exorbitant d’enfanter » a privé les femmes de la maîtrise de leur corps et de leur sexualité. Le prix de ce privilège est cher payé : c’est l’aliénation de notre corps par les hommes.
Pourquoi avoir un organe génital différent, une densité musculaire différente, une pilosité différente justifierait la domination des hommes sur les femmes ?
Selon Françoise Héritier, la différence d’organe génital seule suffit à condamner les femmes à rester à la place de « sexe faible ».
« […] pour se reproduire à l’identique, l’homme est obligé de passer par un corps de femme […] Il ne peut le faire par lui-même. C’est cette incapacité qui assoit le destin de l’humanité féminine […] Cette injustice et ce mystère sont à l’origine de tout le reste, qui est advenu de façon semblable dans les groupes humains depuis l’origine de l’humanité et que nous appelons la ‘‘domination masculine’’. »
Françoise Héritier, Masculin/Féminin : la pensée de la différence, Paris, éditions Odile Jacob, 1996, p. 23
Il semble que nous ne soyons que des instruments utilisés pour procréer.
Nous, femmes, sommes réduites à des moules, conçues pour la fabrication de petits humains, des êtres à contrôler, à marchander. Rien de plus, semble-t-il, que des moules exploités pour engendrer la vie. Et nos filles, à peine plus que des moules en devenir, destinées à perpétuer ce cycle.
Tout prend sens sous ce prisme.
Corps de femme, terrain de pouvoir : l'histoire d'une domination

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À travers l'histoire et encore aujourd'hui, les hommes ont pris et continuent de prendre des décisions sur le corps des femmes de multiples façons, souvent sans leur consentement ou contre leur gré. Ce contrôle s'exerce de manière profonde et variée, impactant de façon indélébile la vie des femmes et leurs libertés fondamentales.
En matière de contrôle de la reproduction, des politiques et des pratiques telles que les restrictions à l'accès à l'avortement obligent les femmes à mener à terme des grossesses non désirées, les privant ainsi de leur droit fondamental de choisir. La stérilisation forcée, une mesure draconienne employée par le passé et, de façon troublante, encore utilisée dans certains contextes, a souvent été justifiée par des raisons fallacieuses de contrôle de la population ou de discrimination. La contraception, un outil essentiel pour l'autonomie des femmes, se voit parfois limitée ou dictée, restreignant la capacité des femmes à prendre des décisions éclairées concernant leur propre santé reproductive.
La violence et les mutilations génitales représentent une autre forme d'atteinte grave à l'intégrité physique et psychologique des femmes. Le viol, le harcèlement sexuel et les agressions sexuelles, des actes malheureusement répandus et souvent impunis, sont des manifestations extrêmes de la domination et du contrôle exercés sur les femmes. Les mutilations génitales féminines, des pratiques traditionnelles cruelles et douloureuses, continuent de nuire à la santé et au bien-être des femmes et des filles. Les mariages forcés, quant à eux, privent les femmes de leur liberté de choisir leur partenaire et de décider du cours de leur vie.
En ce qui concerne la santé et le bien-être, le refus d'accès aux soins de santé spécifiques aux femmes, notamment les soins prénatals et postnatals, est une négligence qui peut avoir des conséquences mortelles. Les tests de grossesse forcés ou les avortements pratiqués sans consentement sont des intrusions flagrantes dans la vie privée et l'autonomie corporelle des femmes. Les traitements médicaux administrés sans consentement éclairé sont non seulement une violation de la dignité des femmes, mais aussi un symptôme d'un plus vaste problème de manque de respect pour leur autonomie.
Les vêtements et l'apparence sont aussi des domaines où le contrôle est manifeste. Les codes vestimentaires imposés, comme le port obligatoire ou l'interdiction du hijab ou de la burqa, sont des enjeux de pouvoir et d'identité. La dictature de la beauté impose des normes irréalistes qui poussent les femmes à modifier leur apparence pour répondre à des idéaux souvent inaccessibles et nocifs.
Enfin, les droits et libertés des femmes sont régulièrement remis en question. Le droit de vote, essentiel à la participation politique et à la représentation, a été et est encore nié à de nombreuses femmes à travers le monde. Les droits de propriété et l'accès à l'éducation sont également des domaines où les femmes ont été et sont souvent désavantagées, les empêchant de devenir économiquement indépendantes et de participer pleinement à la société.
Ces exemples ne sont qu'un aperçu des nombreuses façons dont les corps et les vies des femmes ont été et sont encore opprimés et contrôlés.
Grossesse et préjugés : les obstacles professionnels pour les femmes

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Regardons maintenant l’exemple du coût de la maternité en entreprise.
Une étude de l'INSEE datant d'octobre 2019 met en lumière les conséquences économiques de la maternité. Elle révèle que les femmes voient leur salaire moyen diminuer de 25 % dans les cinq ans suivant la naissance de leur premier enfant, comparativement à ce qu'elles auraient gagné sans interruption. Cette baisse significative de revenu découle de multiples facteurs qui dépassent largement le cadre de l'arrêt temporaire de l'activité professionnelle pour l'éducation des enfants.
Quant à la discrimination liée à la maternité, 30 % des femmes affirment avoir été victimes de discrimination au travail en raison de leur maternité.
Selon l'enquête BVA sur la parentalité en milieu professionnel, une femme sur deux considère que sa grossesse a eu des répercussions négatives sur sa carrière, affectant ses chances de promotion, ses responsabilités ou même menant à son exclusion.
Les discriminations à l'embauche associées à la grossesse et à la maternité restent préoccupantes, malgré l'existence de législations protectrices. Le 10ème baromètre de la perception des discriminations dans l'emploi, publié en 2017, classe ces discriminations en tant que troisième cause de préoccupation pour les femmes.
Dominique Meurs, économiste dans "Les entreprises et l'égalité femmes-hommes" (Les Presses de Sciences Po, 2023), souligne que la maternité peut altérer significativement la carrière des femmes dans le monde entier. En effet, après une naissance, il est souvent attendu que les femmes ralentissent leur carrière pour s'occuper de leur enfant. Cette anticipation, malheureusement encore courante, influence dès le départ la carrière des femmes, car certaines entreprises, présumant d'éventuelles grossesses futures, ne leur accordent pas les mêmes opportunités de développement que leurs collègues masculins, et instaurent un climat de suspicion quant à leur engagement futur dans l'entreprise.
Et pour celles qui décident de ne pas devenir mères, elles doivent faire face au poids des jugements sociétaux qui critiquent cette décision.
Vers une émancipation de la maternité : redéfinir l'identité féminine

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En définitive, la réflexion sur l'égalité des sexes et les droits des femmes nous amène à dénoncer le lourd privilège d'enfanter, une capacité biologique souvent instrumentalisée pour perpétuer des inégalités. Il est essentiel de reconnaître que la maternité, aussi fondamentale soit-elle, ne saurait définir entièrement l'identité ou le destin des femmes.
Ce combat pour l'égalité est d'autant plus paradoxal que les femmes, loin d'être une minorité, constituent environ la moitié de l'humanité et même une majorité dans certaines régions comme l'Europe. Leur traitement en tant que minorité est une anomalie historique et sociale qui nécessite d'être sans cesse défiée.
Il est donc impératif de redéfinir les paradigmes sociaux pour que les femmes ne soient plus contraintes par les attentes traditionnelles liées à la procréation et puissent pleinement exercer leur autonomie. La valorisation de l'égalité des sexes doit transcender les stéréotypes et permettre à chaque femme de s'épanouir sans être entravée par un rôle prédéfini.
Ainsi, l'avenir que nous devons bâtir est celui où la capacité à enfanter est reconnue comme un aspect de la vie des femmes, mais ne constitue plus un déterminant de leur valeur ou de leur statut social. En se souvenant que les femmes sont une force démographique majeure, il devient évident que leur émancipation et leur égalité sont essentielles pour l'équilibre et le progrès de notre société dans son ensemble.
La Journée Internationale des Droits des Femmes nous rappelle chaque année l'importance de cette lutte. Elle n'est pas seulement une occasion de célébrer les victoires passées, mais aussi un moment pour renforcer notre engagement envers un avenir où le "lourd privilège d'enfanter" sera une partie respectée de l'expérience féminine, et non une chaîne qui entrave.