goyet.bruno@gmail.com (avatar)

goyet.bruno@gmail.com

Historien héritier du regretté Fulgence Tapir

Abonné·e de Mediapart

6 Billets

0 Édition

Billet de blog 2 septembre 2020

goyet.bruno@gmail.com (avatar)

goyet.bruno@gmail.com

Historien héritier du regretté Fulgence Tapir

Abonné·e de Mediapart

Le procès de Charles Maurras ou «la revanche de Dreyfus»?

Le retour régulier de Charles Maurras dans l’actualité et les polémiques depuis quelques temps accompagne polémiques nauséabondes, retour des thèses racistes et dévaluation des valeurs démocratiques dans certains milieux. Voilà une valeur intellectuelle et culturelle de premier plan qui permet de revaloriser les propos les plus réactionnaires. Son procès semble n'avoir jamais eu lieu.

goyet.bruno@gmail.com (avatar)

goyet.bruno@gmail.com

Historien héritier du regretté Fulgence Tapir

Abonné·e de Mediapart

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Pour réhabiliter Maurras, on s’emploie à relativiser ses thèses les plus discutables, à en faire des erreurs secondaires qui ne toucheraient en rien le cœur de son propos, en particulier son racisme et son antisémitisme. C’est que le procès du bonhomme n’a jamais eu réellement lieu comme on peut le voir en étudiant celui qui lui fut intenté en janvier 1945. La république ne lui a pas réglé son compte idéologique et ses responsabilités dans les violences de l’Occupation n’ont jamais été mises en cause. D’où son retour.

Son procès se déroule du 24 au 27 janvier 1945 devant la Cour de justice de Lyon. Les chefs d’accusation sont celui d’intelligence avec l’ennemi et de participation à une entreprise de démoralisation de l’armée ou de la nation. Il est reconnu coupable et condamné à la réclusion à perpétuité et à la dégradation nationale. Malgré son importance, ce procès, suivi par plus de soixante journalistes, dont une douzaine d’étrangers, donna à tous ses observateurs l’impression d’avoir été gâché. Si l’on pouvait s’attendre à ce que le pouvoir fît tout pour en désamorcer les aspects politiques et idéologiques, comme dans les autres procès de l’épuration intellectuelle, la façon dont l’affaire a été engagée puis gérée est surprenante, voire ambiguë de la part du général De Gaulle et du ministère de la Justice.

1. Le rôle du pouvoir gaulliste dans le refus d'un procès d'opinion.

Il est d’abord question du lieu du procès, le gouvernement comme les accusés eux-mêmes réclamant qu’il se tînt à Paris pour mieux le contrôler et échapper à l’opinion publique locale particulièrement hostile : « Nous trouverions à Paris une atmosphère probablement plus favorable » écrit Maurras. Ce que corrobore De Gaulle dans une conversation avec François de Menthon, son ministre de la Justice : « A Lyon, il ne pourrait pas s’expliquer … Il relève de la Haute-Cour », ajoutant : « L’indulgence est dans l’habitude des hautes cours. » Le procès est donc un enjeu entre les pouvoirs central et local, entre gaulliste et communistess : pour les premiers, il s’agit avant tout de désamorcer la charge politique d’un tel procès quand les seconds entendent en faire le procès de l’idéologie non seulement vichyssoise mais surtout de toute la droite.

Le commissaire de la république de Lyon, Yves Farge, gagne cette première manche, le procès aura bien lieu sur les bords du Rhône. Mais il va être placé sous haute surveillance par la Chancellerie et l’Inspection générale des services. Elles précipitent le renvoi de l’affaire, forçant les magistrats à bâcler l’instruction et empêchant le siège de bien prendre connaissance du dossier, ce qui a une grande influence sur les débats en facilitant la défense de Maurras qui n’a aucune peine à démonter les incohérences et les erreurs du dossier. Un inspecteur général est même dépêché à Lyon auprès du procureur et du président de la chambre pour orienter les débats : il ne faut pas donner l’impression de faire un procès d’opinion ! Ce ne doit pas être le maurrassisme que l’on doit juger.

Tout le procès va ainsi se dérouler dans le refus d’une parole politique, ce qui donne lieu à une passe d’arme entre Maurras et le président de la Cour, ce dernier lui refusant de lire un exposé de l’ensemble de ses vues politiques avant l’examen des charges précises. Il doit finir par le lui accorder justement pour éviter l’accusation de partialité. C’est tout le dilemme de ce procès.

2. Le refus du pouvoir de rouvrir le procès à la suite de nouvelles révélations. 

Le gouvernement avait tenu à ce que les cours de justice en restent aux articles 75 à 83 du code pénal punissant les actes de trahison pour éviter leur politisation. Il avait simplement précisé ces articles en y incluant explicitement les dénonciations de résistants et de toute personne recherchée par les Allemands. Maurras trouvait les mesures anti-juives de l’Etat bien trop clémentes… on n’en parlerait pas au tribunal, délit d’opinion ! Il avait dénoncé quelqu’un, la charge serait retenue. Quand les audiences passent à l’examen des charges précises contre Maurras, elles sont souvent bien trop vagues, n’embarrassant pas la défense qui pouvait réduire les violences verbales de Maurras aux polémiques d’avant-guerre contre tous ses ennemis et démontrer l’inanité de l’essentiel d’une instruction bâclée.

 Cependant, deux affaires vont faire ressortir la volonté du pouvoir d’enterrer cette affaire. Le premier cas embarrassant pour l’accusé fut celui de Worms. Dans l’Action Française du 2 février 1944, voilà ce qu’avait écrit Maurras :

« On serait curieux de savoir si la noble famille [Worms] est dans un camp de concentration … ou si, par hasard, elle a gardé le droit d’épanouir ses beaux restes de prospérité dans quelque coin … de notre Côte d’Azur … Si la tribu nomade était restée en France, il faudrait faire cesser à tout prix une hospitalité scandaleuse … »

Or Pierre Worms, grand banquier d’origine juive, a été assassiné par la Milice. Si, dans son exposé des faits, le procureur avait retenu à charge cet article, il l’abandonna après avoir reçu un télégramme du procureur de Nice précisant la date de cet assassinat : janvier 1944, donc avant l’article de Maurras. Mais le dernier jour du procès, un autre télégramme du commissaire du gouvernement de Draguignan rectifie l’erreur, l’assassinat avait eu lieu le 6 février 1944. Donc immédiatement après l’article de Maurras et le jour de l’anniversaire des émeutes de l’extrême droite du 6 février 1934. Contre toute attente, ni le président ni le procureur ne se saisissent de ce document pour relancer les débats avec un argument bien plus embarrassant pour Maurras. Et une enquête de l’Inspection générale conclut un an plus tard à la correction du procédé qui a permis d’éviter tout incident de séance et de maintenir la « sérénité et l’impartialité » des débats ! Elle déclare inutile de rouvrir le procès comme le demandait Roger Stéphane, fils de la victime.

Cette obsession du pouvoir gaulliste de ne pas faire de vague se retrouve dans une autre affaire encore plus gênante peut-être pour Maurras étant donné son patriotisme ombrageux : dans l’Action Française du 8 octobre 1943, à la suite du bombardement de Paris par des aviateurs français des FFL engagés dans la RAF, il réclamait leurs noms et l’adresse de leurs familles afin de leur infliger « le pilori moral qu’ils ont mérité ».  Le lieutenant que le chef d’Etat-Major de l’armée de l’Air avait désigné fut empêché de témoigner par une erreur dans l’envoi des commissions rogatoires qui empêcha l’utilisation de son témoignage. « Il est possible que cette instruction eût pu être mieux conduite » conclut l’Inspection générale … Que de mansuétude ! On n’y revient pas.

On comprendra aisément que Maurras ait renoncé à se pourvoir en cassation comme, pourtant, il l’avait annoncé dans un premier temps. Le risque était gros pour lui de ne pas s’en sortir aussi bien.

Voilà comme fut gâché ce procès qui aurait dû être le plus symbolique de tous, celui de l’inspirateur essentiel et le propagandiste infatigable de la Révolution Nationale, et par-delà l’incarnation parfaite de la tradition de l’extrême droite antisémite française dont l’influence toucha tous les milieux de la droite traditionnelle et les cercles catholiques comme en avait témoigné son élection à l’Académie française en 1938.

Le combat de De Gaulle pour assurer la légitimité de son pouvoir sans verser dans les visées révolutionnaires de nombre de résistants lui commandait de faire taire les contestations des milieux nationalistes et traditionnalistes si proches de lui, hors le choix de 1940. Donc de ménager Maurras.

A l’annonce du verdict, Maurras s’écria : « C’est la revanche de Dreyfus ».

Hélas non !

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.