« Personnellement, je n'aurais pas eu la patience d'écrire un livre sans autre but que de relever les erreurs historiques d'un polémiste qui n'a ni l'expérience du travail historique, ni même la connaissance des faits établis par les historiens [...] La vieille réputation littéraire acquise autrefois par le critique s'est reportée sur le théoricien et Maurras fait figure de chef d'école auprès de plusieurs jeunes littérateurs français et étrangers enclins à considérer la politique comme une branche de la littérature »
(Charles Seignobos, préface à Ernest Roussel, Les nuées maurrassiennes. Etude critique des "croyances" historiques de l'Action Française, Paris, J.Flory, 1936, pp. XI-XII)
En relisant ces lignes, j'ai eu la tentation de changer le nom de Maurras par celui de Zemmour, tout le monde comprendra pourquoi je pense.
Un des plus prestigieux chefs de l'école historique française préface ainsi un gros livres de dénonciations des erreurs historiques du théoricien du nationalisme intégral et de l'antisémitisme écrit par un obscur professeur d'histoire. Simple snobisme d'un intellectuel de haut vol face au travail d'un tâcheron ? Bien plus que cela. Repli dans sa tour d'ivoire d'un savant qui refuse de se salir les mains dans les combats politiques urgents? Certainement pas de la part d'un homme qui a su combattre dans le camp dreyfusard, qui fut un des fondateurs de la Ligue des droits de l'Homme et qui, professeur à la Sorbonne, fut en but à l'hostilité des étudiants nationalistes pour ses prises de position publique.
N'est-ce pas plutôt la compréhension que le combat polémique obéit à d'autres règles que la discussion scientifique? qu'argumenter est bien pesant face à l'explosion de formules vigoureuses qui peuvent frapper les esprits? que nulle rationalité ne peut combattre sur le même plan que celui des affirmations gratuites? Que ce que dit le polémiste soit faux n'est jamais le problème, il n'est pas dans le logos démonstratif mais dans le mythos identitaire. Face à ses provocations les plus outrancières, il n'est qu'une réponse possible : "prout, pipi, caca"," c'est çui qui dit qui est," "nananinanère", se mettre à son niveau, celui d'un enfant provocateur ou d'un vieillard radoteur.
Ou alors se taire.
Mais argumenter...! C'est vraiment faire trop d'honneur au bonhomme. C'est en faire un interlocuteur à prendre au sérieux. Non. Ce qui est à prendre au sérieux, c'est son public et ses partisans. Mais il faut être bien naïf pour croire que public et partisans du bonhomme vont vous lire, Messieurs les savants, et a fortiori être convaincus par vous; pour imaginer un seul instant que le bonhomme lui-même va se rendre à vos raisons. Alors à quoi bon cela de la part d'hommes intelligents et compétents ?
J'ai bien peur qu'ils ne s'adressent en fait qu'à eux-mêmes et à leurs semblables, ce si petit monde; c'est réconfortant, bien sûr, d'avoir raison entre soi. Et puis, c'est une prise de position politique qui les justifie aussi, par là ils ont agi. Nous aurons au moins fait ce que nous pouvions faire doivent-ils penser.
Alors, que faire si l'on pense que leurs écrits ne sont que coups d'épée dans l'eau ? Mais faire ce qu'ils ont fait, écrire leurs livres. Ainsi va le monde, les poules pondent, les coqs chantent... et les éditeurs publient.