Si les attentats survenus dans la capitale ont gonflé les scores du Front National jusqu’à en faire le premier parti de France, dans Paris Intra-muros le Front National, qui réalise un score de 9,65%, n’en recueille qu'un faible bénéfice politique. Dans les 10ème et 11ème arrondissements, où les attentats ont été perpétrés, son score dépasse à peine 7%, tandis que les voix de gauche cumulées (PS, FG, EELV) totalisent 64 à 65% des suffrages. Le niveau d’abstention à Paris se situe par ailleurs dans la moyenne nationale, un parisien sur deux n'ayant pas voté. En revanche, en Seine-Saint-Denis dans la banlieue nord de Paris, elle aussi touchée par les attentats, le tableau est bien moins rose...
Le socialiste Julien Dray, tête de liste dans le Val-de-Marne, s’est félicité du fait que le vote Front National ait pu être « contenu » en Ile-de-France. Double par rapport à celui de Paris, il n’est « que » de 20% en moyenne en Seine-Saint-Denis. Mais dans les dix communes les plus peuplées du département (1), le niveau d’abstention bat un triste record national en oscillant entre 60% et 70%. Ainsi, dans le « 9.3 », deux électeurs sur trois ont jugé vain de prendre part au vote. Certes, Claude Bartolone, ancien président socialiste du département, devance Valérie Pécresse (L.R.) dans sept de ces dix communes de plus de 50 000 habitants, et la gauche rassemblée (PS, FG, EELV) y réalise des scores inespérés. Mais plutôt que de se réjouir de cette victoire à la Pyrrhus, cette dernière ne devrait-elle pas prendre la mesure de la vague de désespérance, qui a déferlé? Le « désir de changement », sensé motiver les lecteurs du vote Front National, ne figure même plus à l’agenda de la banlieue nord de Paris, où une profonde indifférence à l’égard du politique a gagné les deux tiers de l’électorat. Dans la ville de Saint-Denis, théâtre des attentats perpétrés au Grand stade et de l’assaut des forces de l’ordre en centre-ville, les voix cumulées de la gauche représentent 60% des suffrages. Mais le niveau d’abstention frôle les 70%, tandis que le Front National y réalise un score de 16% ! Même à Pantin et à Montreuil, communes de Seine-Saint-Denis aux portes de Paris, qui connaissent un phénomène de gentrification comme l’illustre le score moindre réalisé par le Front National (12%), l’abstention atteint 60%.
Pour Claude Bartolone, ancien Ministre délégué à la Ville sous le gouvernement Jospin et ancien patron du département à qui les médias prêtent désormais un rôle de « parrain », l’apparente victoire électorale de la gauche en Seine Saint-Denis fait en réalité figure de cinglant revers démocratique. Dans la ville de Saint-Denis, particulièrement touchée par les attentats, les 70% d’abstention revêtent une signification particulière. Contrastant avec l’attention portée aux habitants des 10eme et 11ème arrondissements de Paris au lendemain des attentats, l’abandon des habitants de Saint-Denis à leur sort de témoins épouvantés lors de l’assaut terrifiant des forces de l’ordre en pleine nuit et en plein coeur de ville a-t-il pu jouer un rôle dans cette désertion massive des bureaux de vote? Qu’en est-il aussi de l’effet dévastateur produit par les nombreuses bavures imputables à l’Etat d’urgence et par la stigmatisation de la communauté de confession ou de culture musulmane?
Dans le département du Val-de-Marne, la tendance électorale est sensiblement la même qu’en Seine-Saint-Denis. Le vote Front National s’y voit également « contenu » à 16,79%, tandis que Claude Bartolone devance Valérie Pécresse dans six des huit communes les plus peuplées (2). Oscillant entre 50% et 64%, le niveau d’abstention dans ces communes, moins élevé qu’en Seine Saint-Denis, n’en est pas moins conséquent. A Créteil, à Champigny-sur Marne, à Vitry-sur Seine et à Villejuif, il dépasse 60%. A l’ouest de Paris, dans le riche département des Hauts de Seine, Valérie Pécresse devance, quant à elle, très largement Claude Bartolone dans neuf des onze communes les plus peuplées (3). A Nanterre et à Clichy, seules communes où Claude Bartolone arrive en tête, le niveau d’abstention avoisine les 61%. Autant dire que pour la gauche, le tableau électoral de ce Grand Paris abstentionniste devrait tenir lieu d’alerte politique et de feuille de route dans la lutte contre les inégalités sociales et les disparités territoriales. La gauche, qui célèbre l’unité nationale « post attentats » et l’adhésion renforcée aux valeurs de la République aurait tort d’occulter ce très sévère démenti dans les urnes, en se berçant de l’illusion d’une victoire en trompe-l’œil.
(1) Aubervilliers, Aulnay-sous-Bois, Bondy, Drancy, Epinay-sur-Seine, Le Blanc-Mesnil, Montreuil, Noisy-le-Grand, Pantin, Saint-Denis.
(2) Champignay-sur-Marne, Créteil, Fontenay-sous-Bois, Ivry-sur-Seine, Maisons-Alfort, Saint-Maur-des-Fossés, Villejuif, Vitry-sur-Seine.
(3) Antony, Asnières-sur-Seine, Boulogne-Billancourt, Clamart, Clichy, Colombes, Courbevoie, Issy-les-Moulineux, Levallois-Perret, Nanterre, Rueil-Malmaison.