Le GRAJC (Groupe de Réflexion et d’Action des Jeunes Chercheurs) a lancé une pétition nationale en ligne jeudi 11 mars dernier. Cette pétition demande au gouvernement la prolongation de tous les contrats de recherche en cours, durement touchés par les mesures sanitaires restrictives actuelles.
La situation des chercheurs français est en effet extrêmement difficile aujourd’hui, en raison de la fermeture prolongée des centres de recherche, de nombreux laboratoires et des frontières internationales. Le cas des chercheurs contractuels (doctorants, post-doctorants, ATER, chercheurs et ingénieurs attachés de recherche), qui représentent à ce jour près d’un tiers de la profession, est d’autant plus critique que leurs contrats de travail arrivent pour certains bientôt à échéance, sans que le gouvernement n’ait annoncé aucun plan d’ampleur efficace permettant de leur assurer un avenir un tant soit peu rassurant. Les chercheurs français sont en effet depuis près d'un an dans une situation de quasi-blocage du fait, par exemple, de l’impossibilité de mener des expériences pérennes en laboratoire, de réaliser des études de terrain ou encore de se déplacer à l'étranger dans le cadre de cotutelles ou de coopérations internationales entre universités.
Dans ce contexte, le gouvernement demandé à ce que des procédures de demande de prolongations soient mises en place dès la fin du printemps 2020, mais la mesure est loin d'être appliquée de manière satisfaisante. Près d'un an plus tard, de nombreux travaux de recherche sont ainsi toujours à l'arrêt, lorsqu'ils ne sont pas tout simplement abandonnés. La mise en place des prolongations des contrats de recherche promises en avril 2020 par la Madame Frédérique Vidal, ministre de l’Enseignement Supérieur, de la Recherche et de l’Innovation, présente de fait plusieurs failles d’importance : manque de transparence dans les critères d’attribution de ces prolongations, absence de toute information administrative claire, modification du contenu des dossiers par certaines universités chargées de rassembler les dossiers de demandes des chercheurs concernés, exclusion de certains types de contrats (contrats doctoraux CIFRE, ATER, post-doctorats, ingénieurs attachés de recherche), processus décisionnels opaques et sans consultation des instances représentatives des contractuels concernés.
Le GRAJC a cherché à alerter le ministère sur ses dysfonctionnements administratifs dès le 26 janvier 2021 par un courrier rédigé envoyé avec accusé de réception. En l'absence de toute réponse, le Groupe a donc lancé le 13 mars dernier une pétition nationale en ligne dans le but d'informer tout un chacun de la gravité de la situation et d'infléchir les décisions du gouvernement en la matière. En quelques jours, cette pétition est parvenue à rassembler déjà plus de 1400 signatures. Elle a ainsi reçu le soutien de très nombreux enseignants-chercheurs contractuels ou titulaires, d’institutions académiques reconnues et de figures importantes de la vie scientifique et intellectuelle de notre pays : sections 19, 20 et 21 du Conseil National des Universités, Association française d’ethnologie, Association française des historiens modernistes, réseau national des Sociétés savantes, Confédération des Jeunes Chercheurs, membres du Collège de France…
Cette mobilisation commence à attirer l’attention de quelques médias et le gouvernement semble à présent au courant de son existence. La réponse du gouvernement aux questions de plus en plus nombreuses des journalistes sur les prolongations de contrat n’est cependant toujours pas satisfaisante. Dans un communiqué de presse daté du jeudi 18 mars, le gouvernement avance des chiffres bruts pour justifier ses décisions : selon le ministère, 7000 contrats doctoraux auraient été prolongés au titre de l'année 2020, pour un montant de 30 millions d'euros. Ces chiffres ne sont cependant par pertinents tels quels.
Premièrement, il faudrait pouvoir rapporter le nombre de prolongations octroyés au nombre de demandes déposées. Deuxièmement, il faudrait également prendre en considération la durée moyenne de prolongation accordée par l'Etat par rapport à la durée moyenne de prolongation demandée par les chercheurs concernés : si une personne estime avoir perdu 12 mois de travail en raison de la pandémie et que l'Etat lui propose une prolongation limitée à un mois, cette prolongation paraîtra dérisoire d'un point de vue concret mais sera comptabilisée comme "prolongation honorée" par le gouvernement. Troisièmement, de nombreux chercheurs contractuels sont titulaires de l'agrégation et bénéficient d'une forme de détachement de l'Education nationale vers l'Enseignement supérieur et la recherche. D'un point de vue administratif, il paraît difficile de prolonger un contrat d'enseignement et de recherche de quelques semaines seulement, alors que les années d'enseignement sont considérées par l'Education nationale en années pleines. Quatrièmement, ce communiqué mentionne un montant de 30 millions d'euros alloués aux prolongations des contrats doctoraux au titre de l'année 2020. Pourtant, la loi rectificative du budget 2020 votée en décembre dernier fait état d'un dégagement de près de 44 millions d'euros pour ces prolongations : nous demandons à ce que cet écart budgétaire soit explicité par le gouvernement. Enfin, rappelons également que ces procédures de prolongation des contrats doctoraux ne concernaient que le premier confinement du printemps 2020, mais ne prenaient pas en compte les mesures prises postérieurement. En soi, les dossiers de prolongation actuellement traités par l'administration sont d'ores et déjà et depuis longtemps devenus caduques.
Cette utilisation tout à fait approximative des chiffres par le gouvernement pour justifier ses décisions et clore le débat n'est semble-t-il par un fait nouveau. La même logique avait déjà été adoptée par le gouvernement tout au long de l’année 2020 pour repousser les questions du Sénat concernant les prolongations des contrats doctoraux. La rétention de l'information disponible par le gouvernement actuel se fait donc à tous les niveaux. Délivrer une information claire et objective à tout un chacun devrait pourtant faire partie des exigences imposées par la volonté affichée d'améliorer la transparence de la vie publique.
L’avenir de la recherche française dans les prochaines années devrait pourtant plus que jamais préoccuper notre gouvernement. Si les chercheurs contractuels sont laissés dans l’impasse, nombre d'entre eux seront trop précarisés pour pouvoir espérer continuer leurs travaux. Ils pourraient alors tout simplement abandonner définitivement leurs carrières dans l'enseignement supérieur et la recherche. Beaucoup d’entre eux pourraient aussi être tentés d’aller réaliser leurs travaux dans des pays où la recherche est beaucoup mieux financée et soutenue, accélérant de facto le phénomène de fuite des cerveaux à l’étranger. Un effondrement de la recherche publique française dans les classements internationaux est donc à craindre. Il ne faudra dès lors pas s’étonner des échecs de la France dans la mise au point de paradigmes scientifiques et de dispositifs innovants pour faire face aux enjeux sanitaires, environnementaux et sociétaux auxquels nous devons d’ores et déjà faire face. La préservation des capacités de recherche de notre pays devrait être l'une des priorités gouvernementales.
A titre de comparaison, nos plus proches voisins européens, comme l'Italie ou l'Espagne, pourtant plus endettés que ne l'est la France, n'ont pas hésité dès 2020 à financer des prolongations des contrats de recherche dans leurs pays. Le gouvernement espagnol a ainsi prolongé dès le mois d'avril 2020 et de manière automatique tous les contrats de recherche d'une durée équivalente à celle de l’état d’urgence sanitaire (Real Decreto-ley 21 de abril de 2020 sobre la prórroga de los contratos de doctorado). L'Italie a quant à elle prolongé tous les contrats de recherche d’une durée minimum de cinq mois par une loi du 18 décembre 2020 (Proroga dottorato, voto della la Camera dei Deputati della Republica italiana il 18 dicembre 2020).
En un mot, il est temps d'agir efficacement pour l'avenir de la recherche française.
Toute personne qui le souhaite peut contribuer à cette mobilisation en signant la pétition du GRAJC, disponible à l'adresse suivante : https://www.wesign.it/fr/science/pour-lavenir-de-la-recherche-francaise-face-au-covid--demandons-au-gouvernement-la-prolongation-de-tous-les-contrats-de-recherche