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Billet de blog 14 juillet 2015

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SILENCE AUX PAUVRES !

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

En ce 14 juillet 2015, où les képis défilent en rang et marchent au pas, je publie l'avant-propos du livre d'Henri Guillemin ; Silence aux pauvres,  paru en 1989 à l'occasion du Bicentenaire de la Révolution française, qui j'espère, donnera le goût de la lecture à celles et ceux désireux de finir un livre très éclairant sur une période historique pour qui veut la découvrir. Henri Guillemin, cet historien "qui agaçait les dents " de François Mitterrand, n'était, pour Georges Pompidou qu'un " fouilleur de poubelles " coupable d'avoir rétabli la vérité (dérangeante on s'en doute) sur Napoléon. Face aux accusations, Guillemin citait Robespierre : "C'est la vérité qui est coupable !".  Voilà une lecture pour nous, les descendants des "gens de rien" comme disait l'anticonformiste Guillemin.

"J'avais pensé à Eloge des vaincus. Mais il fallait avoir lu mon petit texte pour comprendre ce titre-là: les vaincus? ceux que liquida le 9 Thermidor, avec en quarante-huit heures, la plus belle fiesta de la guillotine, plus de cent dix têtes coupées le 10 et le 11. Ceux qui avaient cru en la Révolution, en une révolution où non pas seulement seraient changées les structures, mais d'abord et avant tout serait modifié le regard de l'homme sur la vie, et l'emploi de ses jours. Immédiatement limpide, en revanche, ce titre: Silence aux pauvres!

Deux raisons m'ont comme poussé par les épaules pour me dicter ce ...quoi? dirai-je, à la cuistre, ce prècis des évenements qui se déroulèrent ches nous de 1789 à 1799, ce résumé didactique de la Révolution? Premier mobile: l'état violent d'"insupportation" (ce néologisme est de Flaubert) que je dois à l'étalage tintamarresque et péremptoire d'une doctrine où la Révolution, d'une part - c'est ça, la grande trouvaille - dérape (tel est le mot-clé, le mot de passe, le label d'initiation), dérape, oui, très vite; dès la Législative, le mal est fait; autrement dit la sagesse eût été un gouvernement à la Louis-Philippe. Et donc la République relève d'une dérapage. Pas mal, non, pour le Bicentenaire? Original, en tout cas.

L'autre mobile qui s'est emparé de mon stylo pour lui donner la fièvre, c'est l'affaire de la Propriété, dont je trouve qu'on l'oublie un peu trop dans les récits et commentaires usuels sur la Révolution. Ce qu'il faut savoir, et capitalement, c'est que, dès la réunion des Etats généraux, une grande peur s'est déclarée ches les honnêtes gens - formule, je crois bien, que nous devons à La Fayette; honnêtes gens = gens de bien, gens qui ont du bien, des biens; au vrai, les possédants, face à ceux que l'on va exclure du droit de vote et de la garde nationale, les non-possédants, les gens de rien. Robespierre est un des rares - des très rares - révolutionnaires à souhaiter chez les exploités (des champs et des villes) une conscience de classe. Il n'y parvient pas. Trot tôt.  Attendons l'expension industrielle du siècle suivant et les concentrations de prolétaires. En revanche, chez les gens de bien, elle est là, dès 89, la conscience de classe, vivante, je vous l'assure, lucide, effarée, aggréssive; il n'est , pour s'en rendre compte à ravir, que de regarder et d'écouter madame de Staël, Sièyes, Barnave et cent mille autres. Et tout va se jouer sur ce sujet même, avec l'épouvante (croissante pendant plus de cinq ans) de ceux qui ont en présence de ceux qui n'ont pas, qui n'ont rien et qu'il s'agit, à tout prix (et constamment), de surveiller et de contenir d'abord par le déploiement avertisseur de la force, le 14 jullet 1790, ensuite par son usage crépitant et persuasif, le 17 jullet 91.

Les trois assemblées qui vont gouverner jusqu'au Directoire: l'Assemblée nationale, la Législative, la Convention, seront toutes les trois - la convention aussi - composées de propriétaires. La première, au lendemain des émeutes rurales de juillet 1789, aura soin de doter la propriété d'un attribut inédit, renforcé, solennel. Et nous admirerons Danton, le jour même où la Convention tiendra sa première séance, apportant au soutient de la fortune acquise un adverbe inattendu, et grandiose. Odieux, intolérable, ce Robespierre qui ose, en avril 1793, proposer une limite officielle au droit de propriété. Il est fou; un malfaiteur, un anarchiste.

Enfin les honnêtes gens vont respirer, le 9 Thermidor. Quelle délivrance! Ne s'est-on pas risqué, au Comité de Salut public (automne 93), à intervenir dans l'ordre économique - établissement d'un maximum pour le prix des denrées - alors que le dogme des Girondins comportait une abstention rigoureuse, absolue, de l'Etat en ce domaine. C'est la Convention - eh oui! elle même -, ayant repris son vrai visage et jeté le masque qu'elle s'imposait par effroi des robespierristes, qui va saluer d'acclamation Boissy d'Anglas énonçant, à la tribune, cette vérité fondamentale: "Un pays gouverné par les propriétaires est dans l'ordre naturel."

Imparfaite, insuffisante, la rectification thermidorienne. Le principe républicain subsite, redoutable en soi quant à l'essentiel. Brumaire fermera la parenthèse sinistre ouverte par le 10 août 92 et le suffrage universel. Plus d'élections du tout, ni de République, mais le bonheur, la béatitude reconquis par Necker et ses amis banquiers. A la niche, une bonne fois, les gens de rien."

Henri Guillemin.

Silence aux pauvres!

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