gregory.quin (avatar)

gregory.quin

Historien des pratiques d'exercice corporel

Abonné·e de Mediapart

5 Billets

0 Édition

Billet de blog 18 juin 2015

gregory.quin (avatar)

gregory.quin

Historien des pratiques d'exercice corporel

Abonné·e de Mediapart

Neymar, Ronaldo ... même combat?

gregory.quin (avatar)

gregory.quin

Historien des pratiques d'exercice corporel

Abonné·e de Mediapart

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

A la vue du comportement inqualifiable du Brésilien Neymar contre la Colombie pendant la Copa America, je me suis souvenu de certaines réflexions rédigées en tout début d'année 2015 au moment de la désignation du Ballon d'or de la FIFA, et je les (re)partage avec vous. 

En effet, en janvier 2015, Cristiano Ronaldo a obtenu son troisième « Ballon d’or de la FIFA », son deuxième consécutif et le troisième en carrière, ce qui consacre incontestablement la valeur du joueur du Real Madrid. Avec ce nouveau trophée individuel - auquel ne s'ajoute pas de trophée collectif en fin de saison (sic!), l'attaquant portugais rentre dans l’histoire de son sport en obtenant la plus haute distinction « individuelle » autant de fois que Michel Platini ou Johan Cruyff, alors qu’il lui reste encore quelques années de carrière devant lui.

Cependant passée cette comptabilité « historienne », la réaction du joueur devant les caméras – qui nous a toutes et tous immédiatement fait penser à la célébration qui fut la sienne après son pénalty lors de la finale de la Ligue des Champions en 2014 –, et bien cette réaction interroge invariablement l’observateur, qu’il soit amateur ou professionnel. Quels sont les ressorts d’un tel comportement, comment peut-on le valoriser ? Est-ce bien un modèle pour notre jeunesse ? N’est-ce que de la joie sincère ?

Tentons d’y voir plus clair.

La notion d’« Idiot utile » possède une longue histoire, depuis qu’elle fut associée à Jean-Paul Sartre dont le comportement et les déclarations à l’égard de l’URSS, notamment dans les années 1950, furent de nature à servir les desseins des dirigeants soviétiques et à maintenir l’endoctrinement des ouvriers en France. Souvent dévoyée depuis un siècle, l’expression aurait été employée originellement à propos de Lénine – lequel désignait par ces mots les intellectuels occidentaux qu’il envisageait de manipuler – et à propos de la Révolution de 1917 et d’André Gide, lequel a longtemps défendu la nature de cette Révolution, jusqu’à changer totalement de position après un voyage à Moscou au début des années 1930 et d’entrer dans une critique de l’URSS. Ainsi, l’Idiot utile est celui qui en raison d’un défaut de sa faculté de juger dessert la cause qu’il pense soutenir. L’Idiot utile est naïf par essence et sa naïveté l’amène à être manipulé et finalement à jouer « contre son camp ».

A ce titre, et bien que ce soit sans doute faire beaucoup d’honneur au dernier lauréat du ballon d’or que de le comparer à de telles figures historiques, il nous semble que Cristiano Ronaldo incarne précisément la définition de l’Idiot utile dans le football contemporain. Il est véritablement l’Idiot utile de la FIFA – et d’autres institutions –, dans la promotion d’un football toujours plus « pipolisé », toujours plus spectaculaire, toujours plus omnipotent économiquement et géopolitiquement. S’il ne s’agit pas de juger de l’intelligence de l’homme – chacun est libre de se faire son opinion en la matière –, il apparaît clairement comme un pion sur un échiquier où les véritables joueurs se nomment « médias », « fédérations » et « financiers ». Comment pourrait-il en être autrement, alors que ses moindres faits et gestes sont épiés, commentés, analysés et par la suite twittés, retwittés, échangés, re-commentés, etc.

Cette année, et avant une avalanche de problèmes qui l'ont récemment poussé à la démission après une réélection contestée, Sepp Blatter n’avait pas commis d’impair dans les semaines précédents la cérémonie [pour rappel à l’automne 2013, il avait indiqué préférer Lionel Messi à Ronaldo dans la course au précédent Ballon d’or], mais lui-même ne pouvait que se réjouir de la victoire d’un tel joueur, dont le profil (lisse) incarne un football aseptisé, où seuls les buts comptent, et où les questionnements sur les choix géopolitiques ou économiques des grandes institutions sportives demeurent peu audibles. En effet, vous l'aurez constaté, tout comme moi, après l'agitation médiatico-médiatique entourant la réélection de Blatter (puis sa démission surprise), le soufflet est retombé, sans que les choix discutables de l'institution internationale ne soient véritablement remis en question.

Si Ronaldo n’est sans doute pas le premier à être ainsi manipulé et si le football se transforme de plus en plus vite depuis deux décennies, les bouleversements deviennent aussi de plus en plus visibles, au point de « perdre » d’anciens amateurs du jeu, lesquels ne se retrouvent plus dans cette hyper-médiatisation et cette hyper-spectacularisation de quelques actions (de but évidemment) de starlettes bien peignées.

En ce 18 juin (dans la soirée du 17), le comportement de Neymar contre la Colombie relève du même registre de l'Idiot utile, prompt à faire fonctionner la machine à critique et à emballer les sphères médiatiques et les réseaux sociaux. Mais que s'est-il passé dans la tête du joueur - dont le talent n'est pas en cause, ses statistiques (si elles ne disent pas toujours tout) parlent pour lui - lorsqu'il a délibérément tiré sur un joueur colombien après le coup de sifflet final? 

Comment un tel comportement peut-il être justifié, quel exemple cela donne-t-il à une jeunesse qui n'a souvent plus que ces modèles dans un monde devenu bien complexe?

Certes, il est possible de rappeler que le joueur brésilien avait été victime d'une aggression (plus que) violente lors de la Coupe du monde 2014, par un joueur de la même équipe colombienne, au stade des quarts de finale (on se souvient aussi de la lourde défaite du Brésil dans le match suivant et en l'absence de Neymar), mais ce n'est pas une excuse valable, absolument pas. Ce serait trop facile. 

Les joueurs de football professionnel sont en fait de plus en plus en-dehors des réalités de leur époque ... dans un monde extra-ordinaire ... qui en voit certains avoir des accidents de voiture en pleine compétition internationale (Vidal - Chili), qui voit les proches d'autres (Ronaldo - Espagne) se faire pincer avec des sommes astronomiques en poche (plus de 50'000 euros) et enfin qui en voit certains avoir des démêlés avec les autorités fiscales de leur pays (Messi - Espagne). Ces trois exemples étant choisi pour leur actualité brûlante.

La question est alors: peut-on raisonnablement continuer à aduler ces hommes-là? Est-ce que par nos choix, nous ne pourrions pas rééquilibrer la machine économico-médiatique ... les débats sont ouverts, et les "affaires" de la FIFA devraient permettre d'entamer une nouvelle ère de ce football moderne, où les bases mêmes du jeu seront revues et corrigées.

Une version plus courte de ce billet est paru sur le site sept.info au mois de janvier 2015 : http://www.sept.info/club/ronaldo-l-idiot-utile-du-football-contemporain/ 

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.