Désamour vis à vis de la classe politique, montée des extrémismes, réactualisation de la Guerre froide, crise économique aigue, inégalités sociales accrues, 2014 n’a pas encore été l’année de la « reprise » pourtant invoquée par les gouvernements à travers l’Europe voici douze mois. Dans ce contexte, la confiance en l’avenir devient une sorte d’utopie sacrifiée sur l’autel de l’austérité et de l’expansion du chômage – pardon de la flexibilité du marché du travail.
Inquiète, instable, indécise, incertaine, l’Europe en 2014, c’est aussi une montée nouvelle des autonomismes, marquée par les référendums en Ecosse et en Catalogne. Si ces deux votations n’ont pas abouti à la création de nouveaux états « indépendants » ou « autonomes », l’ampleur des débats qui se sont déroulés dans le Nord du Royaume-Uni et dans l’Est de l’Espagne – et aux quatre coins de l’Europe – témoigne d’un profond besoin de proximité vis à vis des décisions politiques. Dans une Europe technocratique et austère, les citoyens ressentent de plus en plus le besoin de participer au débat public et aux innovations démocratiques, et la jeunesse notamment se retrouve au premier plan de cette avant-scène politique. Si les plus jeunes générations se sentent résolument européennes suite à la fréquentation des programmes d’échanges d’étudiants, en raison des facilités de transport permises par les compagnies low-cost, par le suivi des compétitions sportives continentales (notamment en football) ou encore à la suite de la révolution numérique et de l’accessibilité de l’information sur internet, ce sentiment s’accompagne (on devrait dire « se double ») d’un attachement aux racines régionales. En effet, la génération des trentenaires travaille de moins en moins sur son lieu de naissance, dans sa région natale. L’exigence du déplacement (pour trouver du travail) a fait de ces individus des « nomades » d’un nouveau genre, et la région devient alors une sorte de refuge où l’on peut encore revenir se reposer, retrouver certaines « habitudes » culturelles et entendre quelques mots de patois.
Dans le même temps, à travers l’Europe, les nations deviennent des repoussoirs, instrumentalisés par des mouvements politiques d’extrême droite qui veulent en faire des promesses d’avenir, alors qu’elles ne sont que de vieux avatars du siècle passé, mais qui savent surfer sur les peurs et les craintes légitimes des populations largement soumises à la précarité (qui n’est pas la flexibilité). En Angleterre, fréquemment saluée comme la championne de la reprise économique cette année, les bénéficiaires de la banque alimentaire sont passés de quelques 300'000 (en 2012 et 2013) à plus d’un million. La reprise est ici bien curieuse.
Dans ce contexte, si singulier et bien qu’il soit encore souterrain, l’autonomisme en Alsace* pourrait bien renaître avec force en 2015 sous l’impulsion de l’inconséquence du redécoupage administratif des régions françaises. Dénué de fondement « explicite » quant aux améliorations de la vie quotidienne des citoyens de ces nouveaux « ensembles géographiques », le processus ne peut que créer de l’incertitude identitaire dans un monde déjà largement inquiétant sur fond de mondialisation, de l’affaiblissement des frontières (nationales) et de la montée d’un multiculturalisme que l’on peut critiquer mais qui existe bel et bien.
En ces temps de commémoration de la Grande Guerre, le discours du général Joseph Joffre à Thann en novembre 1914 peut résonner dans les vallées alsaciennes :
« La France vous apporte, avec les libertés, le respect de vos libertés à vous, des libertés alsaciennes, de vos traditions, de vos convictions, de vos mœurs ».
Espérons que les échos de ce discours ne se sont pas encore tous évaporés et que 2015 sera une année de respect des traditions, des convictions et des mœurs.
* D’autres régions françaises pourraient connaître des processus similaires.
La version originale de ce billet a été publié sur le site sept.info: http://www.sept.info/club/2014-entre-europeanisation-et-regionalisme-le-declin-des-nations/