Par Lyonel Trouillot, écrivain... «Un an après la catastrophe du 12 janvier 2010, Port-au-Prince, la capitale haïtienne, est peuplée de journalistes venus des quatre coins du monde photographier l’après. Comme s’ils ne savaient pas que l’après est le même que l’avant. Que les structures sociales et l’organisation étatique qui ont permis au séisme du 12 janvier 2010 de tuer autant de personnes et de détruire autant de biens n’avaient pas changé. Comme s’ils ne savaient pas que dans la gestion de l’après, des décisions ont été prises à la va vite, que des promesses n’ont pas été tenues, que les camps s’éternisent, que des élections frauduleuses dans lesquelles «l’international» s’est engagé avec légèreté ont ajouté une crise politique aux autres crises et malheurs.
Comme s’ils ne savaient pas que dans le lot des actions d’aide il y a autant de bonne volonté que de ratages, qu’il y a des choses bien et des choses pas bien, des actions d’urgence qui sauvent des vies et une logique de l’urgence qui peut entrer en contradiction avec les changements structurels nécessaires.
Un an après la catastrophe du 12 janvier 2010, Port-au-Prince, la capitale haïtienne, est peuplée de journalistes qui posent les mêmes questions : où étiez-vous le 12 janvier 2010 à 16 heures 53 ? Où en est la reconstruction ? Comme s’ils ne connaissaient pas les réponses. Quelque part où la mort m’a raté, mais n’a pas raté une connaissance ou un voisin, un amour ou un parent proche. La reconstruction ? Il n’y a qu’à regarder. De quelle évidence témoigne votre regard derrière la caméra ?
Un an après la catastrophe du 12 janvier 2010, Port-au-Prince, la capitale haïtienne, est peuplée de journalistes qui se trompent de questions ou d’interlocuteurs. Comme s’ils ne savaient pas que sur la reconstruction, il faudrait adresser leurs questions aux responsables politiques haïtiens, aux institutions financières qui gèrent les avoirs du monde, aux organisations régionales ou internationales, aux Etats «amis» d’Haïti.
Comme s’ils ne savaient pas que sur la gestion et l’efficacité de l’aide, il faudrait enquêter – pas difficile d’établir qu’il n’y a pas plus de transparence dans ce secteur qu’ailleurs – plutôt que de demander à Pierre son sentiment, à Jacques ses impressions, à Pierrette et Martine leur ressenti. Comme s’ils ne savaient pas que le ressenti des Haïtiens c’est à la fois un merci pour l’aide d’urgence effective et un sentiment de vexation et de colère. Jamais peuple n’aura été aussi mal servi par ses dirigeants politiques. Jamais peuple n’aura été autant trahi par ses élites économiques (...).
Lyonel Trouillot est écrivain, auteur entre autres de : Les Enfants des héros. Arles: Actes Sud, 2002. Bicentenaire. Arles: Actes Sud, 2004. L'Amour avant que j'oublie. Arles: Actes Sud, 2007; Port-au-Prince: Presses Nationales d'Haïti, 2007. Yanvalou pour Charlie. Arles: Actes Sud, 2009.