A-t-on prévenu Giscard et Mitterand - voire Pompidou et De Gaulle - qu'ils avaient été à la tête d'un système soviétique?
Probablement non: il vaut mieux éviter toute perturbation de la tranquille retraite dorée du premier "ex", et du repos éternel des suivants. Imagine-t-on la tête du Grand Charles et le triple salto qu'il aurait réalisé sous son marbre à Colombey?
Et pourtant, c'est ce qu'on a appris au beau milieu de l'émission "Envoyé spécial" du 5 mai, lors de l'enquête "Des français hors réseau".
On peut considérer les "zones blanches" comme un hâvre de paix dans notre monde ultra-connecté et où nombre de personnes semblent avoir oublié que les appareils sont vendus avec un bouton qui permet de les mettre en sommeil...
Le reportage se penchait cependant sur la vie quotidienne de ces français habitants de zones rurales, voire péri-urbaines (100 km de Paris), dans de jolis villages typiques, souvent nichés dans le cadre bucolique d'un vallon ou d'une combe boisée, et pour qui la vie quotidienne devient progressivement de plus en plus difficile avec la généralisation du téléphone mobile et de l'accès haut débit, qui sont considérés comme acquis pour tous.
Il suffit de penser au nombre de démarches de nature administrative ou commerciale pour lesquelles on est incité, voire obligé de passer par Internet car c'est devenu le moyen officiel entre suppressions de bureaux physiques et réductions de personnel dans les tristement célèbres centres d'appels (deux exemples entre plus de mille: l'inscription des lycéens pour le cycle supérieur à travers le système APB; l'accès aux TGV Ouigo...).
Mais tous ces sympathiques campagnards ou rurbains ne sont pas rentables pour les opérateurs, qui n'ont pas d'obligation de couverture totale de la population... si ce n'est pour le téléphone fixe - dont le reportage montre plus loin ce qu'il en devient!
Mais s'intéressant d'abord à l'absence - ou à la très faible qualité - de mobile et d'Internet sur le quotidien, cela conduit à des scènes surréalistes d'habitants d'un village se retrouvant au somme d'une colline proche, car c'est là où où le mobile réussit à accrocher quelques précieuses "barres", et où ils peuvent donc écouter leur messagerie et tenter de rappeler leurs correspondants; de venir récupérer le SMS qui permet d'autoriser un paiement par carte sur un site Web; d'entreprises où une mise à jour de logiciel peut durer plusieurs heures, voire journées...
Les élus locaux se désespérent: comment convaincre les gens (et notamment des familles avec enfants) de s'installer dans des villages où ils seront coupés du monde? Et quant aux artisans et chefs d'entreprise, c'est clairement un sacerdoce pour eux de poursuivre leur activité dans des conditions aussi difficiles de communications avec les clients, les fournisseurs, l'administration. Comment maintenir en vie un territoire dans ces conditions?
Le régulateur a imposé quelques normes, relativement accomodantes toutefois: un village est connecté s'il est possible d'effectuer un appel sur deux dans un rayon de 500 mètres autour de la mairie, depuis l'extérieur.
Outre le fait que ce niveau de "connection" était peut-être décent il y a 20 ans mais qu'il est précaire aujourd'hui, l'enquête a vite montré qu'entre les chiffres annoncés par les opérateurs et la réalité du terrain, il y a un gouffre: se rendant dans un village où le réseau était "de bonne qualité" d'après les tests effectués, les journalistes ont été incapables de passer un appel dans le fatidique rayon de 500 mètres.
Qui mesure cette qualité, de quelle façon cette mesure est-elle contrôlé? Le reportage ne le détaillait pas, mais on peut l'imaginer, en nos temps où les autorités de contrôle sont d'une part taxées d'ingérence lorsqu'elles se mêlent de vouloir vérifier ce qui se passe, d'autre part jugées trop coûteuses, et que l'on prône désormais la confiance en l'auto-contrôle et les chartes déontologiques.... certainement un sujet d'investigation dans le sujet.
Mais au delà de la gêne réelle, pire encore, c'est parfois la sécurité, voire la vie des gens qui sont mises en danger: les numéros d'appel de secours ne passent pas. Un gérant de camping et sa femme se sont retrouvés 14 heures sans secours suite à un orage qui avait dévasté le camping et où un arbre en s'abattant avait coupé la ligne fixe, seuls à faire face pour parcourir le camping où les arbres s'étaient abattus sur mobil homes, caravanes et tentes...
Et le bon vieux téléphone fixe me direz-vous? Outre le fait qu'il ne permet désormais que de couvrir bien partiellement les besoins, là encore, on se doute que cette contrainte pré-historique n'intéresse guère l'opérateur concerné, en dépit des dénégations du directeur commercial local, qui assure que "tous les moyens" sont mis en oeuvre pour assurer la continuité de service: sur place, les fils réparés avec des bouts de ficelles (regrettable, admet le directeur, mais c'est mieux que rien), coupures de lignes fréquentes sont aussi le lot des habitants de ces secteurs qui témoignaient de leur difficulté à obtenir une liaison téléphonique fiable (avec cas en direct à l'appui...).
A ce stade, on est tout à coup songeur...
Jusqu'aux années 1980, les bons vieux PTT aussuraient l'accès de tous les abonnés à ce que la technologie permettait alors de plus élaboré en matières de télécommunication.
Aujourd'hui, on se retrouve à l'âge d'Internet, et dans une France qui se situe entre la 5e et la 6e puissance économique mondiale (comme on nous le serine régulièrement), avec un pays qui n'est pas à deux, mais à trois, voire quatre ou cinq vitesses entre les hypercentres ultraconnectés, les zones péri-urbaines au débit bon, honnête ou parfois plus aléatoire, et ces fameuses zones blanches... ou plutôt noires car elle semblent avoir disparu de tous les écrans des "décideurs".
C'est alors que les journalistes se sont rendus chez Axelle Lemaire, fraiche et pimpante comme un Macron au féminin afin de la questionner sur le sujet de l'inégalité criante d'accès aux réseaux.... et là, avec un rire quelque peu embarassé, la jeune secrétaire d'état (socialiste) qui a pourtant organisé il y a quelques mois une démarche intéressante - accessible par contre exclusivement sur Internet! - de démocratie participative dans le processus d'élaboration des lois du domaine numérique, explique avec une candeur désarmante que "l'on n'est plus à l'époque soviétique... on ne peut pas imposer à des entreprises de faire des activités non rentables...".
Stupéfaction...
Alors la notion de service public n'est même plus seulement "dépassée" ou "obsolète", elle relève désormais carrément du "soviétisme"! On peut attribuer des concessions qui permettent aux opérateurs de faire leur tri dans le pays, et de placer des myriades d'antennes là où elles sont susceptibles de leur rapporter un maximum de bénéfices, sans que cette concession ne contienne la moindre clause leur imposant d'équiper des zones où effectivement, il est possible que le consommateur unitaire ne soit pas "rentable"...
On est capable d'imaginer des montages ultra-compliqués et usines à gaz lorsqu'il est question de "libéraliser" (cf. les marchés du CO2, les garanties d'origine dans le domaine de l'énergie, la question du fret ferroviaire...) et il serait impossible de conditionner l'attribution d'un marché à la mise en place d'un mécanisme de péréquation? Ce qui existe en passant chez ERDF, le croupion où survit ce qui reste de service public de l'énergie, et qui garantit précisément un accès de n'importe quel citoyen à l'électricité...
Il est vrai que la jeunesse d'Axelle ou d'Emmanuel leur permet quelques approximations quant au système soviétique, qui pour eux se réduit surtout à quelques pages poussiéreuses de leurs manuels d'histoire...
On comprend alors sans mal que si c'est là désormais la pensée dominante chez nos gouvernants, rien d'étonnant à ce que toutes sortes d'égalités (ainsi pour la santé, l'éducation...) deviennent non seulement gentiment désuètes ou folkloriques, mais dangereuses: comment donc, on pourrait vouloir amener une dose de contrainte et ne pas laisser s'exprimer librement la loi du profit?
Aux dernières nouvelles, il existerait un "plan" quelque part au sujet des zones blanches, pour qu'un jour plus ou moins lointain, elles soient résorbées... il y aussi d'autre part des militants qui considèrent que désormais, l'accès aux réseaux d'information doit faire partie des droits fondamentaux au même titre que l'eau potable et l'énergie.