Le prix de marché le plus bas, un Graal au-dessus de la science et des réglementations européennes, le prix bas au détriment de l’environnement, de la santé, de l’emploi ou encore de la protection sociale : voici la réponse de la majorité de droite au Sénat face à un modèle agricole français à bout de souffle. Court-circuitant les débats en cours sur la future loi d'orientation agricole, la proposition de loi « Choc de compétitivité en faveur de la ferme France » n’apporte aucune solution viable au problème de la croissance des importations de produits agricoles.
Une vision erronée de la compétitivité
Epandage de pesticides par drone, libéralisation de la vente des produits phytosanitaires, limitation de la possibilité pour l’Anses de retirer du marché des pesticides dangereux pour la santé et l'environnement, amoindrissement du droit du travail... Cette loi n’est qu’une fuite en avant d’un modèle agricole en faillite.
Présentée sur le fondement d’une vision faussée de la compétitivité, cette loi passe sous silence les coûts cachés d'une agriculture assise sur les pesticides et les engrais de synthèse. En effet, celle-ci renvoie à la collectivité les coûts sanitaires liés aux maladies induites, à la dépollution de l'eau. De plus quel prix donner à l'effondrement de la biodiversité ? Quel prix donner à la vie des paysans ?
Pour protéger nos agriculteurs, notre marché intérieur, notre environnement, il est indispensable de s'attaquer au libre-échange, il est indispensable d'instaurer une vraie régulation, des clauses miroirs pour éviter une concurrence déloyale. Il en va également de notre souveraineté alimentaire.
La transition agroécologique : un avantage compétitif majeur
A l’inverse, les écologistes défendent une vision de la compétitivité dans un sens global et sur le long terme. Car la France a tout à perdre à se soumettre au dumping social et environnemental de certains pays. Elle aurait tout à gagner à se positionner en leader sur les problématiques environnementales, sanitaires et sociales. Cela lui permettrait d'impulser une politique européenne ambitieuse, et de construire une agriculture s'affranchissant de ses dépendances aux engrais chimiques, dont les coûts explosent, ou à des pratiques trop gourmandes en eau, alors que les sécheresses se multiplient.
Personne ne peut contester que la résilience est et sera de plus en plus un puissant avantage compétitif. Ayant déjà engagé les transitions nécessaires, la France se trouvera en bonne position au moment inéluctable où elles s’imposeront à tous les pays. Encore faut-il s’en donner les moyens, notamment en orientant les aides de la PAC vers les filières aujourd'hui peu soutenues, qui subissent des concurrences déloyales, comme l’agriculture biologique ou les filières des fruits et des légumes. Il nous faut également agir sur la relocalisation de la production et de la consommation : encourager les circuits courts, appliquer la loi Egalim avec les 20% de produits bio en restauration collective, instaurer un chèque alimentaire durable et travailler sur le droit à une alimentation de qualité, via la création d'une sécurité sociale de l'alimentation. Ce sont autant de solutions efficaces pour nos agriculteurs et pour nos concitoyens en situation de précarité alimentaire.
Car nous ne le répéterons jamais assez : les agriculteurs et la ruralité sont les premières victimes d’une soi-disant compétitivité s’exerçant dans un marché libéral mondialisé. Ces dix dernières années, pas moins de 100 000 actifs agricoles et autant d'exploitations agricoles ont disparu, aujourd'hui 50 % des agriculteurs gagnent moins de 350 euros par mois(1). Ce modèle affecte notre économie mais également notre environnement et en corollaire la santé humaine : le lien entre Parkinson, lymphomes, cancers de la prostate et pesticides est aujourd'hui clairement établi. Le mal être agricole lié à une absence de revenu et à une perte de sens du métier conduit à des épuisements professionnels dangereux.
Une politique agricole ne peut se réduire à la recherche de la compétitivité-prix, l’intérêt général doit primer sur le marché. Or, sur le fond comme sur la forme, cette loi ressemble plus à une note de cadrage des lobbies agricoles qu’à un texte de la Chambre Haute. Joël Labbé, chef de file pour le Groupe Écologiste - Solidarité et Territoires, à l’origine de la mise en demeure par le Sénat du représentant d’intérêts du secteur des pesticides Phyteis, le constate amèrement, « cette loi est un ballon d’essai du lobby de l’agrochimie ». A cet égard, nous nous associons étroitement à la lettre ouverte à Elisabeth Borne d’un collectif qui regroupe 70 organisations environnementales, de consommateurs, de santé et de solidarité qui invite le gouvernement « à résister à la pression de certains lobbies agricoles et agroalimentaires »(2).
Les choix faits pour notre agriculture sont décisifs pour notre avenir commun : mardi 16 mai, au soir, au Sénat, les débats ont permis de clarifier les positions de chacun. Et, ce mardi 23 mai, à l’occasion du scrutin public solennel, chaque sénatrice et sénateur sera invité à voter en conscience.
Signataires :
Tribune à l’initiative de Joël Labbé et Daniel Salmon, et l’ensemble des sénatrices et sénateurs du Groupe Écologiste -Solidarité et Territoires du Sénat
(1) Etude MSA
(2) Lettre ouverte de 70 organisations à Élisabeth Borne pour une véritable Stratégie nationale pour l’alimentation, la nutrition et le climat (SNANC)