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« C’était le chemin que les camions à gaz empruntaient. Dans chaque camion à gaz, il y avait 80 personnes. Quand ils arrivaient les SS disaient : « Ouvrez les portes ! » Nous le faisions et aussitôt les corps dégringolaient. Un SS disait : « Deux hommes dedans ! » Ils étaient deux qui travaillaient aux fours, ils avaient l’habitude. Un autre SS hurlait : « jetez plus vite. Plus vite ! L’autre camion arrive ! » Et on travaillait jusqu’à ce que le transport entier soit brûlé. Et c’était ainsi tout le long du jour. C’était ainsi.
Je me souviens d’une fois, ils vivaient encore. Les fours étaient déjà pleins, et ils sont restés sur le sol. Ils remuaient tous. Ils revenaient à eux. Ces vivants. Et quand ils les ont jetés, ici, dans les fours, tous étaient ranimés : ils ont été brûlés vifs.
Quand nous avons construit les fours, je me demandais pourquoi. Un des SS m’a répondu : « On va faire du charbon de bois pour les fers à repasser ! Il m’a dit ça, je ne savais pas. » Quand les fours ont été terminés, les bûches disposées, l’essence versée et enflammée, et quand le premier camion à gaz est arrivé, alors nous avons su pourquoi les fours ont été creusés. Quand j’ai vu tout ça, ça ne m’a rien fait. Et le 2ème, et le 3ème ne m’a rien fait non plus. Je n’avais que 13ans et ce que j’ai vu jusque là c’était des morts, des cadavres. Peut-être n’ai-je pas compris. Si j’avais été plus vieux peut-être.... Je n’ai sans doute pas compris. Je n’avais jamais rien vu d’autre. Au ghetto, je voyais à Lodz, au Ghetto, dès que quelqu’un faisait un pas, il tombait, mort mort. Je pensais qu’il doit en être ainsi. C’est normal. C’est ainsi. J’allais dans les rues de Lodz, je faisais, disons 100m et il y avait 200 morts. Les gens avaient faim. Ils allaient et ils tombaient. Le fils prenait le pain du père, le père, le pain du fils, chacun voulait rester en vie. Alors quand je suis arrivé ici, à Chelmno, j’étais déjà... Tout ça m’était égal. Je pensais aussi, si je survis, je ne désire qu’une chose : qu’on me donne cinq pains, pour manger. Rien d’autre. Plus je n’osais même pas...
Mais je rêvais aussi que si je survis, je serai le seul au monde. Plus un être humain, moi seul. Un. Il ne restera que moi si je sors d’ici. »
Simon Srebnik, l'un des deux survivants des quatre cent mille hommes, femmes et enfants qui parvinrent en ce lieu. Il avait alors 13 ans et demi : son père avait été abattu sous ses yeux, au ghetto de Lodz, sa mère asphyxiée dans les camions de Chelmno. Les SS l’enrôlèrent dans un des commandos de “juifs au travail” qui assuraient la maintenance des camps d’extermination et étaient eux-mêmes promis à la mort…” (Extrait du texte d’introduction diffusé au début du film)