Nous savons tous ce qu'est la honte. Le savons-nous? La honte n'est pas l'embarras ou la gêne que nous ressentons lorsque par exemple, nous trébuchons et nous étalons de tout notre être, au milieu des autres, physiquement ou moralement. La honte n'est pas non plus l'orgueil bafoué, quand on nous démontre que nous nous trompons et que nous nous sentons bêtes. Tout le monde peut se tromper.
La honte c'est plus grave. La honte entame une part de notre humanité, de notre intégrité. La honte c'est ce sentiment que nous ressentons lorsque nous nous trahissons nous-mêmes. Lorsque nous trahissons ce en quoi nous croyons ; ce que nous sommes -pas ce que nous croyons être. Ces moments ne sont pas légion. Ces moments sont irrattrapables, ces moments on aimerait les effacer, mais on n'y arrive pas. Ils restent gravés, à jamais dans notre mémoire. Tout au plus arrivons-nous à vivre avec sans trop nous accabler.
Je me connais. Je sais que si j'avais participé à la manifestation des femmes de chambres scandant « shame » contre un homme dont je sais qu'il n'y a aucune preuve connue contre lui, j'aurais honte. Et je ne parle même pas de ceux qui ont organisé la manifestation, en manipulant les femmes de chambre auxquelles on a peut-être fait croire que ces preuves existent.
La honte est un sentiment intime qui ne regarde que soi. Chacun place le curseur de ce dont il peut avoir honte où il veut, et surtout où il peut.
Ceux qui parlent sous la torture, n'ont pas avoir honte. Seuls ceux qui torturent doivent avoir honte -et il ‘y a jamais aucune bonne raison pour torturer quelqu'un- et ceux qui leur demandent de faire le sale boulot. Celui qui vole parce qu'il veut nourrir sa famille n'a pas à avoir honte, c'est celui qui l'emploie sans le payer correctement, celui qui lui refuse un salaire minimum, celui qui a un travail et qui se fiche pas mal que tant d'autres que lui n'en aient pas ou encore celui qui vole l'argent des travailleurs qui doit avoir honte. Ce n'est pas celui qui touche le RSA qui doit avoir honte, c'est celui qui essaie d'humilier celui qui le touche qui devrait avoir honte.
Les personnes qui n'ont pas de papiers en règle n'ont pas à avoir honte de ne pas en avoir, ni d'avoir fui leur pays. Ce sont ceux qui leur refusent les papiers qui doivent avoir honte. Ceux qui traquent les clandestins, ceux qui contrôlent au faciès -on le répète encore et encore, combien de personnes faut-il contrôler pour pouvoir expulser 29000 (en 2010) ?- ceux-là devraient avoir honte et ceux qui leur donnent l'ordre de le faire. Et tous ceux qui laissent faire sans rien dire.
La honte que nous éprouvons, c'est notre étalon pour mesurer notre degré d'humanité et jusqu'où nous sommes prêts à ne pas aller pour elle.