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Billet de blog 23 juin 2013

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Ouvrir un blog et mourir

Je ne sais pas si je dois. Hier encore je ne savais pas qu’il existe, ce blog. J’ai commencé à lire un peu, par petite touche, et ce matin tôt, j’ai tout lu d’un coup. Je n’aurais pas dû. Même les mourants qu’on ne connaît pas on s’y attache. Je ne savais pas. Maintenant je sais. Je savais qu’on s’attache à ceux dont on lit les mots sur les blogs, quand ils sont bien vivants et qu’ils nous quittent, comme Velveth.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Je ne sais pas si je dois. Hier encore je ne savais pas qu’il existe, ce blog. J’ai commencé à lire un peu, par petite touche, et ce matin tôt, j’ai tout lu d’un coup. Je n’aurais pas dû. Même les mourants qu’on ne connaît pas on s’y attache. Je ne savais pas. Maintenant je sais. Je savais qu’on s’attache à ceux dont on lit les mots sur les blogs, quand ils sont bien vivants et qu’ils nous quittent, comme Velveth.

J’ai fait sa connaissance, enfin celle de son blog hier, sur Twitter. C’est Bernard Langlois qui en a parlé. Il a écrit qu’il "aimerait être capable, le moment venu,  d’un tel stoïcisme ». Parce que le blog dont je parle c’est celui d’un homme à qui son médecin a dit qu’il lui reste 30 jours à vivre. Et aujourd’hui il lui en reste onze. 11. Le blog s’appelle le « blog d’un condamné ». Il n’y a pas de commentaire possible. Quand on est condamné à mourir, on a tous les droits, même celui de ne pas autoriser les commentaires. Il ne dit pas qui il est et nombre de ses amis ne sont pas au courant. Normal, si en plus de mourir il faut s’encombrer des angoisses des autres… Il aime sa femme qui le lui rend bien apparemment et c’est son fils qui l’a encouragé à écrire une page chaque jour, jusqu’à la fin. Moi je sais déjà, parce que je suis un peu sorcière, qu’il vivra au-delà des 30 jours et parce que ça m’arrange de penser que personne ne peut prédire comme ça la fin et que tant qu’on est vivant, on n’est pas mort. Ca j’en suis sûre. Je me souviens il y a longtemps, c’était dans une tribu de la Côte Est de la Grande terre, en Kanaky. On m’a proposé d’accompagner les femmes qui allaient voir une vieille, mourante. Avec des présents. Des manous, des fruits, des sous, un peu de tout, pour sa famille. Parce qu’elle n’en aurait plus besoin. La vieille était couchée, les traits presque gris, je ne la connaissais pas, ça me gênait un peu moi je n’aurais pas aimé qu’elle vienne comme ça me voir mourir alors que je ne la connaissais pas. Et puis ce rituel me donnait des frissons. Les femmes se sont adressé l’une après l’autre à la vieille, dans la langue de la tribu. On m’a expliqué à voix basse qu’on lui rappelle les bons moments, qu’on lui dit qu’on l’aime, qu’elle a fait plein de belles choses dans la vie, qu’on l’encourage à passer de la vie à trépas, qu’elle n’est pas seule et tout  et tout. Elle ne bougeait  pas. Il n’y avait rien pour dire qu’elle était toujours de ce monde ni même qu’elle entendait tout ça. La cérémonie a duré un bon moment, je dois dire que ce n’était pas une cérémonie triste, même si personne ne riait. Empreinte d’une immense douceur. Puis nous sommes reparties.  Tout était prêt pour les funérailles, qui n’ont jamais eu lieu. Parce que la vieille est morte, mais bien des années plus tard. Tout cet amour, toute cette énergie lui ont donné un coup de sang, elle s’est regonflée à bloc. Et je l’ai vu plus d’une fois, s’activer par ci par là.

Alors vous, le monsieur du blog, pas sûr du tout que vous allez disparaître aussi facilement. Moi par exemple, je sais déjà que je vous lirai chaque jour maintenant, que je vais penser à vous et je suis sûre que nous sommes nombreux comme ça. Et même ça, ça fait de l’énergie pour vous, pour vous maintenir en vie. Et je sais aussi que lorsque vous partirez pour de vrai, j’aurai du chagrin.

Et tous ceux qui comme moi hier encore ne vous connaissaient pas, et qui auront envie d’aller vous lire, en auront aussi. Moi c’est à Langlois que j’en voudrais, parce que pour se remettre des chagrins c’est bon de s’en prendre à quelqu’un, et vous qui ne saviez pas et qui serez touchés, ce sera peut-être à moi. Ainsi va le monde.

La mort fait partie de la vie, celle des autres la nôtre font partie de notre vie. Tous ceux qui ont vu la leur de près, le savent. Les autres apprendront.

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