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Billet de blog 25 février 2011

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Nous avons mal à notre humanité

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Comment pourrait-il en être autrement ? Nous avons mal à notre humanité quand nous savons que tant des nôtres sont tués, éradiqués par la force. Et pourquoi ? Parce qu’ils réclament la liberté. Comment ne pas s’identifier à tous ces Libyens dont on nous dit qu’ils meurent par centaines tués par leur propre gouvernement et le fou qui y règne en maître absolu depuis plus de quarante ans. Ils sont nous, nous sommes eux, ou alors nous ne sommes rien.

Et alors les analyses et les commentaires fusent de partout. Une révolution planétaire ? Impossible ! On n’a jamais vu ça ! Ils vous le prouveront, l’histoire se répète sans cesse, c’est toujours la même chose. Ca finira en eau de boudin ! Et comme personne ne comprend, on suppute qu’il y aurait un complot mondial ourdi par Ben Laden qui voudrait islamiser la planète. A écouter certains, la dignité, la fierté, la volonté humaine de ne plus vivre assujettis ce serait juste du blabla, de la poudre aux yeux. D’ailleurs si on réfléchit bien, c’est connu, la fierté, la liberté, la démocratie, les droits et même la dignité, ce sont des valeurs occidentales. Les autres citoyens du monde ne connaissent rien tout cela.

Ah bon ? Prétendre ça, c’est oublier comment tout ça a commencé, en Tunisie. Mohamed Bouazizi avait fait des études qu’il a dû interrompre à la mort de son père pour subvenir aux besoins de la famille. Il était devenu vendeur ambulant. Le 17 décembre, il se fait confisquer sa charrette et sa balance. Il se fait également gifler et cracher dessus par un agent municipal. C’est sa sœur Leila qui l’a raconté : « Ce jour-là, les agents municipaux lui avaient confisqué son outil de travail et l'un d'eux l'avait giflé. Il s'est alors rendu à la municipalité, puis au gouvernorat pour se plaindre, mais ici, à Sidi Bouzid, il n'y a personne pour nous écouter. Ils marchent à la corruption et ne travaillent que pour leurs intérêts. » Désespéré, Mohamed Bouazizi se fait brûler devant un bâtiment officiel. Il mourra le 4 janvier des blessures. Les habitants de sa commune ont été choqués. Profondément. Parce qu’un homme a choisi de mourir parce qu’il a imaginé qu’il n’y avait plus rien d’autre à faire. Les habitants se sont révoltés et on connaît la suite.

Serions-nous devenus si peu conscients de notre propre humanité pour ne pas comprendre ce qui a motivé ce jeune homme ? Sommes-nous devenus à ce point oublieux de notre propre humanité pour ne pas pouvoir envisager que des hommes, des femmes, toujours plus d’hommes et de femmes, aient pu prendre conscience, à travers un tel acte qu’en s’unissant en nombre ils pouvaient hurler tous ensemble qu’ils ont une vie à vivre et que personne n’avait le droit de les en empêcher ? Et que le départ de Ben Ali ait pu encourager d’autres citoyens, d’autres hommes, d’autres femmes, tout autant réduits au silence et à la non vie par la terreur, de vouloir faire valoir leurs droits ? Qui sommes-nous, qui prétendons-nous être pour penser que ce soit impossible ? Des arrogants, colonialistes et racistes comme l'affirme Jean Ziegler ?

Je l’ai écrit souvent, nous ne pouvons jamais condamner les peuples, quels qu’ils soient parce que tout les peuples ont en leur sein des citoyens avides de justice et de liberté, pour eux et pour tous les humains. Parce que nous sommes des humains, comme eux, qui aimons la justice et la liberté, nous pouvons comprendre comme ce doit être difficile pour ceux-là de vivre dans un pays qui leur refuse tous leurs droits ainsi qu’à leurs compatriotes. Par respect pour ceux qui meurent là-bas, je n’aurais pas l’impudence de comparer notre démocratie à une dictature opprimante comme la Tunisie, l’Egypte ou la Libye ou d’autres. Je n’oublie pas cependant qu’il fut un temps, le temps où la gauche était au pouvoir, où il faisait mieux vivre en France qu’aujourd’hui. Et nettement mieux.

Aujourd’hui par exemple, nous sommes capables de renvoyer un père de deux enfants en Chine (faut-il le rappeler là-bas il fait si bon vivre qu’on n’a pas le droit d’avoir plus qu’un enfant !) alors que ça fait dix ans qu’il vit et travaille en France. Parce qu’il faut faire du chiffre –et que pendant les vacances les militants sont moins mobilisés-, il est en rétention comme tant d’autres.

Nous n’aurions pas mal à notre humanité, pour ce qui se passe loin et pour tout ce qui se passe, juste en bas de chez nous ?

Il se peut qu’un jour nous apprenions que tout cela a été fomenté par des gens bien organisés. Je n’aurais alors aucun regret d’avoir imaginé qu’il n’en fut rien. Je n’aurais pas honte de m’être fait avoir à croire simplement, en notre commune humanité.

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