La mort des autres nous touche, nous émeut ou nous laisse indifférents. C’est selon. Nous avons appris cette semaine qu’une jeune athlète qui s’entraînait pour les JO de Londres est morte dans un « boat people », une de ces embarcations de fortune qui tuent chaque année des centaines de gens pauvres dont on ne saura jamais rien, pas même le nom. Même elle, on sait juste qu’elle avait embarqué. Et bien sûr, ce ne sont pas les embarcations qui tuent, ni la mer, ni le vent, c’est notre indifférence.
Vendredi nous avons appris la mort de JL Delarue. Qui peut dire qu’il ne le connaissait pas ? Incontournable sur nos écrans dans les années 95, l’émission « ça se discute » avec son générique fameux. On peut lire aujourd’hui que ce fut les prémisses de la télé réalité. Moi je trouvais qu’il respectait les gens que sans doute il aimait. Il a apparemment vécu à 1000 à l’heure. Il est mort jeune. Il est en paix maintenant.
Le fou furieux de Norvège a tué 77 personnes qui sont mortes alors que rien ne pouvait le prévoir. Elles n'avaient pris aucun risque et ils n’étaient pas malades.
En Syrie on nous dit que des milliers de gens meurent, on nous dit aussi (et on nous le démontre sur des videos –il suffit de chercher sur le Net- que parfois certains ressuscitent. Tant mieux pour eux, si cela pouvait être le cas de tous les autres, ce serait encore mieux. Tout ça pour dire que c’est compliqué de se faire une réelle idée de ce qui se passe là-bas, quels sont les intérêts de ceux qui s’y impliquent, en direct, en marge ou en secret...
J’ai parlé cette semaine avec une vieille dame qui a perdu son mari. Ils allaient fêter leurs 55 ans de mariage. Il n’était pas malade, venait de biner dans son jardin, était rentré bricoler un peu avant de s’installer comme tous les soirs dans son fauteuil, à côté d’elle, pour regarder la télé. Elle a entendu un grand boum, elle pensait qu’il avait fait tomber quelque chose et non, c’est lui qui était tombé, mort. Elle a dit que lui aurait dit que c’est une jolie mort. Pour elle c’est différent. Tout ce qu’elle touche et regarde chez elle lui rappelle lui. Partout elle trouve des petits poèmes qu’il semait, depuis toujours, partout et n’importe où. Ils s’aimaient depuis 60 ans. Elle a dit aussi que maintenant la vie continue, autrement. J’ai pensé à elle quand j’ai entendu Barbara Polla dire dans une rediffusion de « Bibliothèque Medicis") qu’il est impossible d’aimer la même personne pendant toute une vie…
La mort des autres nous parle parce qu’elle nous renvoie à la nôtre dont nous ne savons rien. Ou plutôt, la mort des autres nous renvoie à notre vie, qu’elle soit longue ou courte, elle nous rappelle que la vie, la nôtre s’arrêtera un jour, forcément. S’y préparer, c’est bon pour ceux qui savent qu’elle ne va pas durer. Je sais ce qu’on ressent quand on vous dit que vous allez peut-être mourir, que vous n’avez que 75% de chances de vous en sortir grâce à une opération. Vous êtes obsédé par les 25 % et le néant. Moi j’avais demandé un peu de répit, pour digérer la nouvelle et m’habituer à ne plus être. Chaque arbre que je croisais, chaque fleur, chaque lever et coucher du soleil je les ai regardés comme s’ils étaient les derniers. Chaque fois que je croisais quelqu’un je me disais que c’est la dernière fois que je le voyais, que si l’autre savait, il me parlerait d’autre chose que de la pluie ou du beau temps ou de toutes ces choses qu’on raconte et qui n’ont pas d’intérêt. Ca a duré un mois entier Le mois le plus long et le plus court et le plus intense de toute ma vie. C’était il y a longtemps maintenant. Je m’étais promis que si je m’en tire, je ne vivrai qu’au présent, l’instant présent. Je ne ferai plus de plans sur la comète, plus de souci pour rien ou pas grand-chose et surtout pas pour le lendemain. Il m’est arrivé depuis d’oublier, parfois, pas souvent. Quand on a pensé ne plus vivre, on apprend à vivre autrement. Et quand on a une deuxième chance, on la saisit à bras le coeur et on la serre au creux de son être, là où personne d’autre que soi n’a accès. Je crois qu’on devient fort. Très fort. Pour longtemps. Et on sait, parce qu’on l’a appris que lorsqu’on pense mourir, très vite on lâche prise, on s’habitue à ne plus vivre, tout doucement parce que résister envers et contre cette réalité, serait inhumain. Alors mourir je veux bien, le plus tard possible, en bonne santé et avec le sourire. Souffrir ça me tente moins. J’espère qu’on me laissera choisir. On devrait laisser le choix à chacun de mourir à sa guise.
Cela dit, je sais aussi que choisir sa mort, c’est comme choisir sa vie, un vrai luxe de nantis. Parce que les gens dans les guerres ou sur les bateaux de fortune, ou dans les prisons en Russie, en Chine ou ailleurs, dans les carrières de minerai en Afrique, n’ont aucun choix. Et tous les esclaves, les sans droit, sont tous des sans choix…
La plupart des gens vivent et meurent comme ça vient, sans vraiment y penser. Réfléchir au sens de sa propre vie, c’est un truc de riche… Une bagatelle, presqu’une obscénité au regard de ceux qui luttent chaque jour pour survivre.
Par contre, réfléchir au prix de la vie humaine, de toutes les vies, c’est un devoir. Toutes les vies ont un prix inestimable. Même la plus anonyme et même la plus vile, hé oui –c’est même pour ça que la peine de mort est indigne de notre humanité. C’est ce que nous avons appris grâce au nazisme. Pendant ce sale temps là et même avant la guerre, des médecins (et pas seulement des allemands) ont décidé à la place des personnes concernées qui avait le droit de vivre et qui ne l’avait pas. Nous ne devons pas l’oublier. Personne n’a le droit de décider à notre place ce que nous voulons faire de notre vie ou de notre mort. Personne. L'une et l'autre nous appartiennent.