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Billet de blog 15 octobre 2020

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La gestion « castextrophique » de la crise sanitaire

Les promesses n'engagent que ceux qui les écoutent. Alors que notre système hospitalier, au sortir de la première vague, aurait dû bénéficier d'aides rapides et substantielles face à une recrudescence de l'épidémie, le gouvernement choisit de tailler plus profondément dans nos libertés, au risque d'achever des secteurs entiers de l'économie et d'embraser de graves mouvements de contestation.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Illustration 1
© Gerd Altmann

L’aberration prend définitivement le pas sur l’organisation. Chaque semaine, presque chaque jour, de nouvelles mesures éclosent dans la tête de nos dirigeants, au point que les citoyens ne savent plus, eux, où et à qui donner la leur. De règles accrues de distanciation sociale en port du masque en lieux clos, puis en zone extérieure fréquentée, puis en zone urbaine généralisée, de fermetures en réouvertures d’écoles sur présomption de cas positifs, du passage de quatorzaine en huitaine pour ne pas grever les entreprises et leurs employés, des décisions de fermetures des bars et cafés au-delà de 22h à la fermeture tout court dans les villes biffées de rouge sang – pardon, d’ « écarlate » - nous voilà à présent soumis à la mise en place de couvre-feu. Le tout pour enrayer la marée montante de l’épidémie, puisque le terme de seconde vague ne semblait pas assez anxiogène pour nos concitoyens.

Des citoyens dont le gouvernement, à travers Olivier Véran et Jean Castex, pointe du doigt le laxisme, l’irresponsabilité, le manque de respect envers ces gestes barrière dont on nous assène les règles à longueur d’antenne. Au point de diffuser un spot publicitaire abominable de culpabilisation, pour nous-mêmes et nos enfants, qui ne manquent pourtant pas de sources de traumatisme.

Bien sûr, le danger est là. Bien sûr, nous devons protéger les plus fragiles de ce nouveau virus, dont les mutations incessantes laissent à craindre qu’il sera difficile de l’éradiquer via le développement d’un vaccin. Mais il faut savoir raison garder. Ecouter aussi les épidémiologistes, les médecins et autres scientifiques qui, à l’instar des trois cent signataires de la tribune publiée sur Mediapart, dénoncent les mesures gouvernementales disproportionnées. Le professeur Toussaint, directeur de l’Institut de Recherche biomédicale et d’épidémiologie du sport, ou le professeur Toubiana, épidémiologiste et chercheur à l’Inserm, seraient-ils moins compétents que Jean Castex pour saisir la réalité d’une seconde vague ? La ville de Marseille, de son côté, se doterait-elle de son propre conseil scientifique si celui du gouvernement se révélait totalement digne de confiance ?

Outre cette hystérie de plus en plus alarmiste, dont les conséquences économiques, sociales et psychologiques se font de plus en plus dévastatrices, poussant des centaines de milliers de personnes au chômage, d’autres à la faillite, certains même jusqu’à des tentatives de suicide (+30% au plus fort de la crise), il serait peut-être bon que le gouvernement balaie devant sa porte plutôt que de se complaire dans l’incrimination systématique de la population et la restriction de plus en plus sévère de ses libertés.

« La santé n'a pas de prix » ?

Revenons un peu en arrière, au moment où nos cœurs en panique battaient à l’unisson à l’heure du souper devant les déclarations d’Emmanuel Macron. Notre Président n’avait-il pas promis que nous sortirions grandis de cette crise ? Que tous les moyens pour sauvegarder les emplois et notre système de santé seraient mis en œuvre « quoi qu’il en coûte » ? « La santé n'a pas de prix », déclarait-il alors. Et nous l’avons cru. De bonne foi.

Les emplois, en effet, ont été en grande partie épargnés durant ces premiers mois de crise. Mais le contrecoup le plus lourd ne tardera pas à se faire sentir : l’Unédic, qui gère le régime d’assurance-chômage, anticipe la destruction de 900 000 emplois d’ici fin 2020 ; ainsi qu’une dette supplémentaire de 63,1 milliards d’euros, liée pour moitié au financement du dispositif de chômage partiel, pour 29 % à l’augmentation des dépenses d’allocations-chômage et pour 19 % aux reports de cotisations.

Ce royal « quoi qu’il en coûte », étonnamment, s’est arrêté aux portes des services hospitaliers. Ces soignants qu’on encensait en plein confinement, qu’on applaudissait la larme à l’œil depuis nos balcons, ont été totalement délaissés une fois la première vague passée. Les promesses du Président, fortes de l’anticipation d’une possible seconde vague, auraient dû être suivies d’actes souverains et immédiats. De budgets conséquents pour ouvrir de nouveaux services essentiels, combler des carences en matériel, en lits, en personnel ; pour relever le moral épuisé de ces héros malgré eux qui ont fait feu de tout bois pour sauver des vies au péril de la leur.

La décision de ce couvre-feu

n’est qu’un fac-similé nocturne du confinement

Mais non. Hormis une prime de 1500 euros jetée en pâture à ceux qui avaient comptabilisé suffisamment d’ « heures Covid », rien ou presque n’a été fait. Et aujourd’hui, alors que les malades d’autres pathologies, qui avaient dû repousser la date de leur opération, occupent davantage de lits, le gouvernement s’affole à l’idée que la capacité d’absorption des hôpitaux devienne rapidement insuffisante pour prendre en charge les malades du coronavirus. D’où cette cascade de mesures à l’emporte-pièce, cette désorganisation ahurissante menaçant notre santé et nos emplois, sans parler de nos libertés fondamentales, alors même que le Dr David Nabarro de l'OMS vient de lancer un appel solennel aux dirigeants mondiaux pour cesser de recourir au confinement comme principale méthode de contrôle de l’épidémie. La décision de ce couvre-feu dans les grandes agglomérations n’en est qu’un fac-similé nocturne, dont les dégâts économiques, sociaux et psychologiques risquent fort de pousser toute une frange déjà fragilisée de citoyens à de violents mouvements de révolte.

Un tel constat nous laisse le choix entre deux conclusions : soit le gouvernement s’est laissé déborder par ses multiples engagements et n’a pas su gérer toutes les priorités qui s’imposaient. Soit il s’agit d’une volonté délibérée d’achever l'hôpital public, déjà mis à mal par trente ans de politique d’austérité, au bénéfice du secteur privé et d’une refonte de la Sécurité Sociale.

Une chose est sûre : nous nous devons tous, en tant que citoyens de ce pays, de protéger nos acquis sociaux les plus essentiels contre le poison de la convoitise financière. Et ce, justement, quoi qu’il en coûte.

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