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Billet de blog 24 juillet 2022

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Vaccin anti-Covid - Un auteur en sursis

La vie d’auteur, ce n’est pas toujours facile. Il y a les aléas de l’inspiration, les turpitudes éditoriales, les ventes pas toujours au rendez-vous, les embrouillaminis administratifs, sans parler des compromis parfois délicats avec la personne qui partage votre vie. J’échangerais pourtant volontiers toutes ces tracasseries contre la santé qu’on m’a volé.

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Guilhem Méric © Guilhem Méric

J’ai déjà eu l’occasion de m’exprimer dans les colonnes d’Actualitté (près de 800.000 lectures) sur l’épreuve que je traverse depuis ma vaccination il y a un an contre le Covid-19. J’ai hésité un long moment avant de savoir si, au regard de l’impact inattendu de ce témoignage, j’avais envie ou non d’aller plus loin. D’approfondir la question. Il s’est trouvé finalement que c’était le cas. Parce qu’au-delà du simple citoyen qui s’exprimait sur un mal-être physique et psychologique – associé à un sujet sur lequel le monde médical et médiatique refuse tout débat – je me devais de parler des conséquences concrètes de cet état de santé sur mon travail d’auteur.

Je suis romancier en littérature imaginaire depuis 2010. Avec sept romans à mon actif, dont trois publiés chez un éditeur. Les autres ont vu le jour grâce au crowdfunding, ainsi qu’à une somme d’énergie et de détermination assez ahurissante. Il faut dire que je n’en manquais pas, à l’époque, pour aller au bout de mes rêves. Pour redonner vie contre vents et marées à ma saga fantasy Myrihandes, le tout avec le concours d’un compositeur pour la réalisation des albums, et d’illustrateurs pour les livres et l’artbook.

Quand je repense aujourd’hui à ce dont j’ai été capable, il y a à peine quelques années, j’ai l’impression que quelqu’un d’autre était aux manettes.

Il y a treize mois que j’ai été injecté. Treize mois que j’ai été éjecté d’une d’une vie normale. Sans que je m’en rende compte les premiers temps. Le processus a été lent. Il continue de l’être, sans que j’aie la moindre idée de son évolution ou de ses limites. Personne, à ce jour, n’est capable de m’apporter la moitié du quart d’une réponse à ce sujet. Et ce n’est pas faute d’avoir consulté une pléthore de spécialistes.

Toujours est-il que je continue d’écrire. Ces derniers six mois, j’ai travaillé sur un nouveau manuscrit pour la jeunesse. « Quelque chose de léger », m’a-t-on suggéré, pour ne pas m’enfoncer davantage dans le cloaque de mes tourments. D’autant que c’est devenu difficile d’écrire depuis qu’une espèce de courant électrique me traverse la pulpe des doigts quand je les pose sur les touches du clavier. Il faut s’y habituer, dompter la douleur et les sensations de brûlure en prenant régulièrement des poses.

Difficile, aussi, de s’astreindre à une histoire pleine d’humour et de magie, quand le corps vous rappelle sans cesse son calvaire. Aux poignets, aux coudes, aux chevilles, aux pieds… Ou quand le PC portable posé sur les cuisses creuse douloureusement votre peau jusqu’à imprimer sa marque. Pourtant l’écriture continue de me tenir en vie. De me fixer un but. J’ai une histoire à conter. Un pansement à poser sur mes plaies. Alors je reste au rendez-vous. Je résiste à la fatigue qui s’est faite plus lourde avec les mois pour aligner des mots sur des pages et les rendre plus beaux. Tant pis si le lendemain, je n’arrive pas à me lever. J’ai la satisfaction d’avoir donné ce que je dois à mon ouvrage. A mon personnage. A ma raison d’être dans ce grand chaos où se démène mon existence.

Là où le bât blesse, c’est que mon image d’auteur hybride, partagé entre édition traditionnelle et autoédition, n’est pas du goût de tout le monde. J’ai d’ailleurs vite compris que je m’étais tiré une balle dans le pied en finançant sur Ulule un autre de mes romans. La publication ne s’est faite que sur 500 petits exemplaires, mais visiblement, cela a suffi pour jeter l’opprobre sur l’ouvrage aux yeux des éditeurs.

Il n’empêche. Mon statut de franc-tireur m’a valu une invitation aux Imaginales en octobre 2021. J’ai participé à une conférence sur l’autoédition et présenté fièrement mes ouvrages sous l’un des barnums prévus à cet effet. Le soir venu, je tentais d’oublier les douleurs qui me tétanisaient les pieds pour discuter avec mes amis auteurs et éditeurs. Dans la masse, personne ne vous entend souffrir.

Au mois de mai 2022, alors que je devais porter des gants en pleine chaleur pour conduire ma voiture et porter des cartons de livres à mon libraire, j’ai participé à la Comédie du Livre de Montpellier. Un autre grand moment de retrouvailles avec les lecteurs, après deux longues années d’absence covidophobe. J’étais heureux d’être là, de m’arracher à la solitude studieuse de mon bureau pour partager mon amour des livres avec le public. On a tellement soif de ces moments, nous autres auteurs… Mais je dois désormais me contenter des séances de dédicaces. Les interventions debout tout une heure en classe, ce n’est plus possible.

Entre temps et à ma grande surprise, la saga Myrihandes a attiré l’attention de producteurs étrangers grâce au formidable talent de communication de mon ami et chanteur Jeffrey Mpondo. Moi qui avais tiré un trait depuis belle lurette sur mes rêves d’adaptation audiovisuelle ai vu d’un coup le projet renouer avec la réalité. Des séances de travail et de rencontres avec de potentiels partenaires ont été prévues à Copenhague, Stettin, Milan et Cannes. Mon agent, dans la foulée, a traduit roman et synopsis en anglais. Et moi, à présent, je dois me préparer à l’idée de faire face à des voyages, torturé par tout ce que j’ai de tendons, de ligaments et de peau. Dis comme ça, ça peut paraître dérisoire. On n’imagine pourtant pas, tant qu’on n’y a pas été confronté, le nombre d’endroits par lesquels votre corps peut hurler qu’il a mal. Ni combien la répétition quotidienne, grandissante, harassante de ces douleurs peut puiser dans vos ressources.

Ainsi, ces séjours que j’appelais auparavant de mes vœux, ce fantasme improbable d’avoir peut-être la chance de porter à l’écran l’œuvre de ma vie, me galvanise en même temps qu’il me terrifie. Parce que je me sens prisonnier d’une carcasse amaigrie, affaiblie, souffreteuse, privée de ses forces les plus essentielles ; celles qui lui permettaient il n’y a pas si longtemps de porter une valise, de marcher sans faux pas ou d’ouvrir l’opercule d’un pot de yaourt.

Je serais peut-être moins anxieux si un médecin, depuis ces six derniers mois, avait posé un diagnostic sur mes symptômes. Tout ce que j’ai, ce sont les témoignages de soutien et de détresse d’autres personnes qui, après lecture de mon témoignage, m’ont écrit pour me faire part de leur empathie. De contacts de thérapeutes. De protocoles de soins. De leur soulagement de ne pas être seuls ou totalement fous. Ils m’ont aidé eux aussi, à leur manière. En me sortant de l’exil dans lequel je me sentais m’enfoncer. De ce carcan de solitude où je me démenais, incapable de faire partager intimement ce que je vivais. Car ne vous y trompez pas : entendre la souffrance de quelqu’un est une chose. La comprendre en est une autre.

Bref, me voilà auteur en sursis. Dans l’attente de la prolongation ou de la suspension, non pas de mes droits, mais de mes facultés. Le hic, c’est que je ne connais pas l’arbitre. Tapi dans mes cellules, un four à viande en guise de bouche comme les monstres de mes romans, je l’imagine chaque jour en train de dévorer un petit bout de moi. Se régaler de mes tissus, de mes nerfs, de mes espoirs.

Comme tous mes personnages de papier, j’ai fini par lui donner un nom. Même si pour être franc, j’aimerais lui clore son histoire, au petit Spike.

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