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Billet de blog 8 mai 2023

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Une jeunesse abîmée par les décisions politiques

La jeunesse connait une détresse psychologique et sociale inédite en partie imputable aux effets indirects du coronavirus. Mais moins que le virus lui-même, c'est la politique d'Emmanuel Macron qui détruit à petit feu les âmes et les corps de la jeunesse française.

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40% des jeunes âgés de 18 à 24 ans sont en dépression : j'ai lu ce chiffre dans Le Un du 19 avril.

Je ne suis pas tombé des nues car je fais le constat au quotidien de cette détresse psychologique qui se généralise et prend de plus en plus des dimensions pathologiques. Mais cela n'atténue pas le choc : quasiment un jeune sur deux est en dépression et personne n'en parle. Est-il normal qu'à l'entrée dans le monde adulte, autant d'individus soient frappés par le même sentiment de tristesse et de vide, la perte d'intérêt et de plaisir dans leurs activités voire les pensées suicidaires?

Non, nous dit le neuropsychiatre Boris Cyrulnik, selon qui ce chiffre est du jamais vu même en temps de guerre. Ce taux a augmenté de 80% depuis 2017. Or, que s'est-il passé en 2017 ? L'élection d'Emmanuel Macron.

« L'histoire de ton corps accuse l'histoire politique », assénait Edouard Louis dans son œuvre magistrale Qui a tué mon père, un père ouvrier broyé par chaque décision politique visant à détruire la protection sociale et à renforcer l'exploitation des travailleurs. De la même manière, l'actualité alarmante des psychés de nos jeunes accuse l'actualité politique.

La politique néolibérale et autoritaire d'E.Macron flingue notre jeunesse avant même qu'elle n'entre totalement dans le monde de l'exploitation capitaliste, les touche dans leur chair et dans leur âme, détruit leur corps et leur santé mentale.

Il ne faut pas négliger d'abord un facteur conjoncturel : la mauvaise gestion politique du Covid, à savoir la décision unilatérale de confiner la population dans son intégralité et ce, durant plusieurs mois.

Les jeunes ont souffert de l'isolement, les interactions sociales étant pour eux plus nécessaires encore que pour les autres. En effet, à l'adolescence, les intéractions entre pairs ont même un impact neurologique dans l'évolution des synapses, ce que les neurologues appellent « l'élagage synaptique ». Ces interactions libèrent également, comme pour tous, de l'ocytocine, hormone du plaisir. Lorsqu'on isole les jeunes, on les prive donc à la fois d'un plaisir essentiel et d'un processus de développement cognitif.

Enfin, le confinement a eu un impact économique évident dans la mesure où de nombreux étudiants vivent d'emplois d'appoint précaires et n'ont donc pas reçu d'aides pour compenser ces pertes étant donné qu'ils ne pouvaient pas arguer d'un salaire fixe. Elle les a plongés dans la pauvreté, contraignant nombre d'entre eux à recourir pour la première fois à l'aide alimentaire. Or, on sait que la dépression est largement déterminée par la situation sociale des individus, la psyché n'étant pas déconnectée des conditions matérielles d'existence.

Mais cette gestion désastreuse du Covid, qui a fait peser sur les jeunes la protection des plus âgés, n'est pas la seule en cause. De manière structurelle, c'est toute la politique néolibérale et autoritaire d'E. Macron qui met notre jeunesse en situation de détresse.

La réforme du lycée mise en place à l'emporte-pièces par J.-M. Blanquer a aggravé la pression scolaire subie par les élèves de première et terminale pour plusieurs raisons.

D'abord, la concentration du barême du baccalauréat sur les « spécialités » engendre une angoisse monstre autour de ces deux matières aux dépens des autres. Ensuite, cette pression s'étale dans le temps pour les autres matières qui sont désormais notées au contrôle continu : au lieu de stresser en juin, les candidats au baccalauréat stressent désormais toute l'année, à chaque évaluation.

Enfin, le système de sélection à l'entrée à l'université qui se cache (mal) derrière l'algoritme de Parcoursup met en compétition les élèves. Là où le baccalauréat témoignait d'un niveau qui garantissait l'accès à l'université, là où l'accès aux études supérieures dépendait donc d'un effort entre soi et soi-même, ce baccalauréat bâtard ne garantit rien et l'entrée à l'université est déterminée par des quotas. En d'autres termes par un classement national entre les élèves suivant l'idéologie néolibérale où la concurrence et la compétition font office de valeur cardinale et aux dépens de toutes les études pédagogiques et psychologiques qui montrent leur effets néfastes pour la progression des élèves et la santé mentale des adolescents. En outre, cela place les élèves en situation d'incertitude : quel que soit leur niveau, ils ne savent pas quel sort leur sera réservé puisque leur entrée dans le supérieur dépendra de la loi de l'offre et de la demande. Par l'absence de hierarchie entre les vœux, cette angoisse peut durer jusqu'au milieu de l'été étant donné que les premières places sont d'abord trustées par les très bons élèves ayant multiplié les vœux jusqu'à ce qu'ils ne se désistent. Cette angoisse peut aussi durer jusqu'à l'année sabatique forcée qu'elle engendre lorsque l'élève n'a toujours pas été admis dans le supérieur en septembre. On se retrouve ainsi avec des bacheliers livrés à eux-mêmes ou livrés à domicile lorsqu'ils se résignent à gonfler les rangs d'Uber Eats ou de Deliveroo, ravis d'avoir cette main d'oeuvre non qualifiée disponible à merci.

Pour couronner l'indigence intellectuelle et la nocivité de cette réforme, les professeurs principaux de terminale sont amenés par Parcoursup à juger les élèves selon des qualités qui leur seraient intrinsèques : « autonomie », etc... Là où les professeurs essaient d'expliquer aux élèves qu'évaluer des travaux ne revient pas à juger leur personne, l'institution demande à la fin du parcours dans le secondaire de juger des personnes. Rien de tel pour entrer dans le monde du travail que d'assimiler des personnes à ce qu'ils produisent.

Une fois entrés à l'université, les étudiants vont connaître la détresse socio-économique. Selon une étude de 2021, 1 étudiant sur 2 ne mange pas à sa faim. Le confinement était pourtant déjà derrière eux. Aujourd'hui, avec l'inflation galopante, ce chiffre ne peut qu'avoir empiré. Lorsque le gouvernement décide de diminuer de 5 euros les APL, lorsqu'il refuse de bloquer les prix des denrées alimentaires de base, lorsqu'il ne construit pas de logements étudiants ; il est responsable de cette misère sociale. Il détruit les corps de jeunes souvent condamnés à ne prendre qu'un repas par jour. Pendant ce temps, il supprime l'ISF et laisse les profiteurs de crise prétexter de l'inflation pour augmenter leurs marges, sachant que 50% de l'inflation sur les produits alimentaires est due à une hausse des profits. Quant on sait que l'alimentation est déterminante pour la santé mentale, on comprend assez aisément le fort taux de dépression chez les étudiants.

Le problème est donc scolaire, économique et social mais il est aussi dans la politique sanitaire elle-même. Pas vraiment de psychologues dans les établissements scolaires mais des « COPSY » chargés aussi bien de l'orientation que de la psychologie et qui agissent sur plusieurs établissements, c'est à dire sur aucun. Pas vraiment de psychiatres disponibles en dehors de l'établissement et donc délais inadmissibles pour traiter de cas urgents. Structures psychiatriques surchargées et donc pathologies non prises en charge. Cela peut conduire au drame de Saint Jean de Luz où une collègue a été poignardée par un élève atteint de troubles psychiatriques. Combien de collègues se demandent si ce ne sera pas leur tour demain ? Ce gouvernement a généralisé et aggravé les cas de détresse psychologique mais n'a rien fait pour mieux les traiter.

La dépression des jeunes est aussi due à une vision sombre de l'avenir et à une crise politique.

En effet, ce gouvernement bouche toutes les perspectives collectives d'avenir. Il est entièrement tourné vers les intérêts particuliers à court terme de quelques magnats de la finance. Comment un jeune français moyen peut-il s'y retrouver ?

Les médias parlent d' « éco-anxiété » comme s'il s'agissait d'une pathologie. Il faudrait plutôt parler d'éco-lucidité. L'éco-déni serait plutôt la pathologie, celle d'un gouvernement qui nous envoie dans le mur. Aucune préoccupation écologique, aucune vision prospective à long terme. Acharnement à diviser les Français par des débats identitaires stériles, enrichissement à court terme de quelques actionnaires ne font pas un projet commun digne d'embarquer la jeunesse.

Là où les rescapés de la Seconde Guerre mondiale voyaient les mauvais jours dans le rétroviseur et pouvaient rêver à un meilleur avenir autour d'un Etat-Providence protecteur, les jeunes d'aujourd'hui voient les jours heureux dans le passé et vivent de plein fouet le désengagement de l'Etat et l'absence de protection face aux dangers qui les attendent. « La retraite pour nous c'est mort », « l'écologie c'est foutu », voilà ce qu'ils ressassent. Là où la croyance au progrès a fait le bonheur des générations précédentes, le sentiment du déclin mais aussi la conscience de la tragédie en cours obstrue toute perspective d'avenir.

En bafouant l'avis du peuple et en imposant sa réforme des retraites, E. Macron a une fois de plus sali la démocratie et renforcé ce sentiment d'impuissance, cette idée qu'ont les jeunes qu'ils n'ont pas de prises sur un monde qu'on leur a imposé. Cette réforme et la façon dont elle est passée montre qu'ils sont privés de la capacité de choisir leur vie, d'une part en rajoutant du temps contraint pendant deux ans de plus, d'autre part en prenant cette décision de manière unilatérale sans aucun respect de la volonté de la majorité.

Même l'avenir qui leur est proposé à titre individuel, le choix entre un métier utile et sous-payé ou un métier bien payé mais inutile voire néfaste, cela ne fait plus rêver personne. En témoigne la bifurcation plus ou moins médiatique d'étudiants de grandes écoles ayant décidé de rompre avec l'avenir qu'on leur a tracé.

De plus en plus de jeunes décident en effet de ne pas sombrer dans la dépression et de relever la tête par la lutte. Comme ils ne croient plus en la politique, cette lutte passe par des associations et de l'action directe (non-violente) comme Extinction Rébellion ou les Soulèvements de la Terre. On les a vus revenir dans les manifestations après le passage de la réforme des retraites au 49.3. Dans la lutte, les esprits et les corps se régénèrent, débattant, dansant, reprenant le contrôle face à ceux qui veulent les soumettre. Dans la lutte sociale, la politique gouvernementale vise encore à les brider, à les oppresser, à les mutiler, à les dissoudre même, comme on a pu le voir à Ste Soline.

E. Macron répond par le mépris aux jeunes qui osent donner leur avis sur la politique qu'il mène : « Si tu veux faire la Révolution, apprends d'abord à avoir un diplôme et à te nourrir toi-même » avait-il lancé à un collégien dès la deuxième année de son premier mandat, démontrant du même coup son inculture en matière d'histoire politique et son mépris de la jeunesse. Pourtant, les jeunes sont toujours là pour lui faire face. Et d'autant plus qu'en raison de sa politique, ils ont de moins en moins accès aux diplômes et à la nourriture. Son plan pour les priver de révolution en les privant de diplôme et de nourriture ne semble pas avoir fonctionné...

De la même manière qu'E. Macron est l'avatar de la ploutocratie, le gouvernement par les plus riches, il est paradoxalement aussi celui de la gérontocratie, le gouvernement par les plus vieux. Paradoxalement car sa jeunesse était son seul argument de vente en 2017. Mais sa politique séduit surtout le troisième âge à en juger par la composition de ses électeurs en 2022 : 38 % des votants de 65 ans et plus ont voté pour lui pour seulement 24% des 18-24 ans qui lui ont largement préféré J.-L. Melenchon. Rien d'étonnant puisque la politique du Président attaque principalement les jeunes et épagne plus ou moins les personnes âgées. Ainsi, la réforme des retraites est une profonde attaque contre les actifs qui devront travailler 4 ans de plus que leurs aînés (dernières réformes cumulées). 90% des actifs sont contre la réforme mais les déjà-retraités, qui ne sont pas concernés, permettent à E. Macon de baisser ce taux à 70%.

Bienvenue dans le pays où le revenu moyen des actifs est inférieur à la pension moyenne des retraités. Au-delà du signe évident de déclin, cela questionne sur la frange de la population que nos élus ont décidé de satisfaire. De la même manière que le think tank Terra Nova avait conseillé au PS de ne plus se préoccuper des franges les plus pauvres de la population parce qu'elles ne votaient pas, il semblerait que le parti d'E. Macron ait choisi d'abandonner les jeunes car ils ont également très peu de poids électoral : seulement la moitié des 18-24 ans a voté aux deux tours de la présidentielle pour plus des ¾ des 50-75 ans. Voilà sans doute pourquoi, hormis un tiktok avec les influenceurs Mc Fly et Carlito, E. Macron n'a pas fait grand chose pour la jeunesse.

La dernière réforme à l'oeuvre permet d'illustrer en même temps le détournement des moyens de l'Etat au service des intérêts particuliers, l'attachement à la reproduction sociale et le mépris de la jeunesse. Ainsi, les « élèves » de lycée professionnel seront amenés à multiplier les stages et devront se satisfaire d'être rémunérés. C'est en fait le retour déguisé du travail des enfants. Une famille pauvre qui a besoin d'argent, et la politique d'E. Macron a fait en sorte que ce soit de plus en plus courant, pourra donc envoyer son enfant en lycée professionnel pour qu'il gagne sa vie. Ainsi, E. Macron étire la durée de vie du travailleur aux deux extrémités, en avançant l'âge de la mise au travail et en reculant l'âge de la retraite. Ce faisant, il diminue le temps de vie hors travail. Retour vers le XIX è siècle sauf que cette fois c'est le contribuable qui va payer pour les entreprises. En effet, là où E. Macron annonce 1 milliard d'investissement par an pour le lycée pro, pour les jeunes, c'est en fait un investissement pour les entreprises car l'Etat a prévu de payer cette main d'oeuvre au rabais à leur place. Aucun moyen supplémentaire n'est prévu pour les heures dévolues à l'enseignement et aux équipements des lycées professionnels : au contraire, de nombreuses filières sont appelées à disparaître.

En conclusion, si la politique néolibérale et autoritaire d'E. Macron détruit les Français à petit feu, les jeunes ne sont pas épargnés : au contraire, ils sont les premières victimes. Ce sont des choix politiques conscients qui rognent sur nos conditions de vie et entraînent pour la première fois depuis la Seconde Guerre mondiale une hausse de la pauvreté et une baisse de l'espérance de vie. Ces choix engendrent chez nos jeunes des problèmes de santé, du mal-être, des suicides. Les médias glosent pendant des heures sur la violence des propos du député LFI qui avait qualifié le ministre du Travail Olivier Dussopt d'assassin. Mais la violence de leur politique antisociale, qui éreinte les corps dans une exploitation capitaliste qu'ils veulent toujours plus longue, qui abîme les âmes dans l'individualisme exacerbé et la mise en concurrence et qui plonge les gens dans la précarité et ce, nous l'avons vu, dès l'entrée dans l'âge adulte ; qui la dénonce ?

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