Le pacte proposé par Pap N'Diaye est présenté comme une réponse à la prolétarisation du métier enseignant et au manque de professeurs remplaçants. Or, il aggrave les deux phénomènes. Il consiste à proposer des heures supplémentaires (18 heures annualisées pour des remplacements ponctuels au pied levé, 24 heures pour des « projets » et « missions » particulières devant élèves) moyennant une prime de 1300 euros bruts, ce qui revient environ au taux horaire d'un professeur agrégé. Le système fonctionne sur la base du chantage : si je veux pouvoir signer un contrat concernant un projet spécifique, je dois d'abord signer celui concernant les remplacements. Système que Pap N'Diaye présente sous le terme de « briques » : elles s'accumulent mais je ne peux pas prendre celle du dessus sans avoir accepté celle du dessous. En tant qu'agrégé, je n'ai aucun intérêt à me contraindre en signant ce pacte pour le même taux horaire mais même si j'étais certifié, je ne le signerais pas quand même. Voici pourquoi.
Parce que ce pacte n'a aucun sens pédagogique
Quel intérêt pédagogique à venir remplacer pour 1h un collègue d'une autre matière dans une classe que l'on ne verra peut-être qu'une fois? Aussi, une classe qui a son prof de physique ou d'anglais absent devra-t-elle se satisfaire d'avoir des cours de SES à la place? C'est du grand n'importe quoi. Penser qu'il suffit de placer un prof devant des élèves pour faire école, cela reflète l'absence de valeur donnée à nos enseignements. Il s'agit de maquiller la misère en faisant de la garderie. En effet, cela pose trois problèmes : un cours doit être préparé, il s'inscrit dans une progression, les matières ne sont pas interchangeables. Il serait plus pertinent d'exiger des TZR (titulaires sur zone de remplacement) pour chaque discipline, c'est à dire des professeurs diplômés dans la matière du professeur absent disponibles pour opérer des remplacements. C'est la seule solution viable pour assurer la continuité pédagogique plutôt que de fragmenter les remplacements au hasard des professeurs plus ou moins disponibles.
Parce que ce pacte renforce les inégalités et les injustices
Le pacte consacre une véritable rupture d'égalité entre enseignants.
D'abord, tous les enseignants ne pourront pas signer ces pactes, puisqu'il y a moins de pactes que de professeurs mais aussi parce que certains pourront en accumuler. Qu'arriverait-il si tous les enseignants voulaient signer ces pactes ? La distribution des pactes se ferait au bon vouloir du chef d'établissement comme jadis à la cour de Versailles le roi attribuait les faveurs pour mieux soumettre ses sujets.
Supposons que tous les professeurs ne désirent pas signer ces pactes. Certains qui le voudraient ne le pourraient pas tout de même. Un professeur d'arts plastiques au lycée ou un professeur de latin n'a pas tous les élèves : il aurait bien de la peine à trouver 18 heures de remplacement. Quid des professeurs documentalistes ? Et des enseignants du premier degré ? Officiellement, le ministère prétend qu'ils pourront assurer les devoirs faits auprès des 6ème. A quel moment ? A 17h après leurs cours quand les collèges sont fermés ?
Enfin, l'inégalité salariale entre les heures d'enseignement professées dans le cadre du pacte et les heures de cours traditionnelles relève d'une injustice. Pourquoi des heures dévolues à un projet quelconque dont l'utilité n'est pas démontrée valent-elles plus qu'un cours qui s'inscrit dans le cadre des programmes nationaux ? Cela reflète l'idéologie absurde de notre hiérarchie qui survalorise des projets creux là où l'enseignement de nos disciplines, souvent bien plus instructif pour les élèves, souffre d'un manque de moyens chronique.
Parce que ce pacte transforme la nature du métier d'enseignant dans le sens d'une prolétarisation
Là où signer un pacte n'aura que peu d'incidence sur le pouvoir d'achat, il dégrade considérablement les conditions de travail et le statut de fonctionnaire.
En effet, il ajoute au médiocre salaire la soumission aux desiderata du chef d'établissement et l'instabilité de l'emploi du temps. Signer le pacte, c'est accepter d'être appelé du jour au lendemain pour aller travailler comme dans les métiers les plus précaires. Les conditions de travail ne se limitent pas au salaire. En signant le pacte, les professeurs renoncent à l'un des rares avantages de leur métier, à savoir un emploi du temps fixe à l'année qui permet d'organiser sereinement sa vie de famille.
Aussi, où est la pertinence de proposer des heures supplémentaires là où les études montrent que les enseignants n'ont pas bénéficié de la semaine de 35 heures et travaillent en moyenne 42 heures par semaine ? Les professeurs ne souffrent pas seulement de leur faible salaire réel qui a diminué de 20% en 40 ans, ils souffrent également de la multiplication des missions qui s'accroissent au gré de la suppression des métiers qui leur étaient dévolus et de la dégradation de la société : conseiller d'orientation, psychologue, assistant social, flic, l'enseignant est sur tous les fronts. Et voilà que l'on veut leur rajouter du travail ! A l'heure où les chercheurs tendent à prouver les bienfaits d'une semaine réduite, le ministère roule complètement à contresens tout en jetant des peaux de banane.
Pour couronner le tout, le risque est de réaliser des emplois du temps à trous pour faciliter le consentement aux remplacements. Voilà le projet macroniste hérité de la « pensée » de N. Sarkozy : les enseignants doivent faire plus de temps de présence dans leur collège et dans leur lycée. Cela oblitère le métier de son principal atout : pouvoir choisir les plages horaires sur lesquelles on travaille. De surcroît, les établissements scolaires ne disposent souvent pas de lieu pour permettre ce travail hors la classe.
Parce que signer ce pacte, c'est renoncer à la bataille pour une véritable revalorisation salariale
Ce pacte est un véritable enjeu de propagande médiatique.
A l'heure où l'opinion publique a compris que les enseignants étaient sous-payés, Pap Ndiaye vend ce projet comme une revalorisation salariale qu'il n'est pas. D'abord, il s'agit d'une prime. Ensuite, elle s'adosse à un travail supplémentaire. Cela revient à dire que les enseignants méritent leur faible salaire car ils ne travaillent pas assez. Or, rien n'est plus faux. Le métier devient de plus en plus compliqué et astreignant tandis que la courbe des salaires réels ne cesse de baisser. Seule une revalorisation salariale sans conditions est à même de satisfaire les revendications des enseignants : tous les syndicats sont d'accord sur ce point et aucun ne se satisfait du pacte.
Aussi, Pap Ndiaye promet de régler le problème des professeurs non remplacés avec ce système alors qu'il ne garantit que de la garderie. En aucun cas les professeurs ne doivent accepter de participer à cette supercherie. La seule solution viable est d'améliorer les conditions de travail et les salaires des enseignants, ce qui rendra le métier plus attractif et plus supportable. Ainsi, il y aura moins de postes vacants par manque de recrues, moins d'absences par burn out et plus de professeurs remplaçants.
Le ministère est aux abois et joue sa crédibilité sur ce pacte qu'il veut voir comme un plébiscite. Il tente le tout pour le tout pour le faire accepter, les rectorats donnant pour consigne aux chefs d'établissement d'adopter la plus grande souplesse la première année par peur du camouflet que représenterait le manque de prétendants. Soigneux du marketing, ils invitent à changer l'appellation qui ne fait que trop penser au pacte avec le diable et les proviseurs sont désormais invités à parler de "parts fonctionnelles". Rompant une fois de plus avec l'idée que l'on se fait de la démocratie, le ministère attend des proviseurs qu'ils fassent signer des contrats sans même avoir publié de décret pour en préciser les modalités. Les promesses doivent se faire oralement : « cette année c'est bon, vous pouvez signer pour la brique 2 sans signer la brique 1 », « on peut définir les jours sur lesquels vous allez remplacer », « on peut faire rentrer dans le pacte tel projet même si ce n'est pas dans la liste établie », etc... Or, l'Etat de Droit se niche aussi dans ces détails administratifs. On ne peut pas signer des contrats écrits qui se basent sur des clauses orales, on ne peut pas agir en toute autonomie sans s'appuyer sur des lois et des décrets. Voilà des méthodes qui relèvent au mieux de l'incompétence, la réforme étant une fois de plus annoncée par voie de presse sans préparation et sans cadrage précis, au pire de la manipulation, privilégiant la souplesse pour inciter les enseignants à glisser la main dans la brèche avant de leur enfiler tout le bras les années suivantes par un cadrage plus strict. Au vu de ce à quoi nous avons été habitués ces dernières années, difficile d'écarter l'une ou l'autre des hypothèses.