
(160 pages, 16 €)
Le hasard fait bien les choses (ou bien peut-être n’y a-t-il pas de hasard ?) : le jour même ou j’avais posté une mienne chronique littéraire Mediapart[1] sur le « groupe Facebook » du Matricule des anges, pour la faire circuler, je reçois un amical soutien (« Très bon texte ! Vraiment ! ») d’un lecteur inconnu de moi, Christophe Esnault. Nous échangeons alors des politesses d’usage ; et puis rapidement nous comprenons la chose suivante : Esnault fait partie du comité de lecture de la revue littéraire Dissonances, qui vient d’accepter de publier, la première, un extrait de ma roue carrée non ponctuée, (L)Ivre de papier – chant de la fin programmée de l’imprimé (sous toutes ses formes). En réponse à mon étonnement devant cette coïncidence assez incroyable – les voies du fait littéraire sont impénétrables – le vent souffle où il veut –, Esnault propose, « comme je sais lire », de m’envoyer son dernier ouvrage « qui a eu un papier dans Le Matricule des anges » justement… Il m’assure que mon extrait de (L)Ivre de papier envoyé à Dissonances « fait partie des 6 ou 7 textes qu’ [ils] n’ont même pas discutés vu qu’ [ils] étaient carrément tous emballés à fond »… J’accepte la proposition.
Quelques jours après, me voici en possession d’un étrange objet littéraire, Correspondance avec l’ennemi, assez lointain de mes propres habitudes de lecture je dois dire : un mélange de mauvaise foi du plus pur style Hara-Kiri et d’ironie toute voltairienne, mâtinée d’une méchanceté à l’égard de toute bien-pensance, assez nabienne justement. Ce qui retient mon attention tout de suite, c’est une communauté d’ennemis affichée dès la quatrième de couverture (très importantes, ces quatrièmes de couv’… Vous ne les lisez pas ? Dommage…) : Bernard Pivot et L’hydre de l’anti-littérature[2]. Oui, le Bernard Pivot de notre enfance, reconverti, pour coller à notre époque de communication à tout va, dans la mode de la twittérature avec un volume sorti il y a peu, Les Tweets sont des chats. Ou comment cacher son impuissance littéraire dans un exercice mondain fort à la mode : exposer ses chats de 140 signes maximum aux yeux de tous – écrit tout public. Effet littéraire, c’est-à-dire musical, fort court en général… Passons. Et lisons un extrait de cette adresse à Bernard Pivot :
« J’ai failli m’évanouir quand j’ai vu le titre de ton livre. […] Ça tape vraiment très fort. Du coup, j’ai ouvert et lu un peu. Pas trop quand même, sinon j’aurais pissé sous moi. Provoquer le rire, c’est un truc balaise. Tu es mon maître absolu. J’ai pas pu acheter ton livre pour une question de principes un peu rigoristes. Je ne file jamais de fric à Albin Michel. »
Le fond de l’air n’est plus rouge (le socialisme a été achevé par le mou François Hollande dit « Flamby » – voir la lettre « Très estimé François Hollande », p. 83) mais plutôt noir : humour noir sur fond rouge, le rouge Pantone 485 C qui illumine la parfaite couverture de ce livre publié par une jeune maison d’édition plutôt méconnue, Les doigts dans la prose (ou bien est-ce plutôt « Les doigts dans la prise » qui alimente un singulier revolver (à forme de main humaine) : la collection « Roman et pistolets » ?).
Puisqu’on en est à faire des considérations sur la facture de ce livre, citons tout de suite son secret de fabrication (parties honteuses que les éditeurs industriels cachent toujours – pourquoi ?) : « Correspondance avec l’ennemi […] a été composé au Mans en Titillium par Anne Millet […] qui a tiré à boulets rouges sur la couverture, avant d’en confier l’impression à l’Imprimerie Graphique de l’Ouest […] pour démultiplication à 550 ex., sur Munken white print 80 gr pour l’intérieur, carte Artika une face mate de 250 gr pour la couverture […], la première quinzaine du mois de décembre 2014 ; le tout constituant l’édition originale. » Ouf ! Très bel hommage poétique à l’art de l’imprimerie à l’heure de la fin programmée du livre papier. Oui, c’est ainsi qu’on devrait aujourd’hui jauger/juger un livre : comment a-t-il été fabriqué/imprimé ? Avec ou sans amour ? De façon industrielle ou artisanale ? On démasquerait rapidement les « faux livres » qui envahissent les étalages…
Il faut maintenant préciser que cette Correspondance avec l’ennemi appartient au genre épistolaire (collection « Roman et pistolets » oblige, je ne vais pas vous faire un dessin) – il s’agit d’une suite de lettres très méchantes, souvent drôles, adressées imaginairement (telle est la liberté de la littérature) à des personnes morales ou physiques en général assez voire très connues : Butane, Leroy Merlin, Télérama, BN, France Inter, Le Monde des Livres, la SNCF, Dominique Gaultier, Joey Starr, Guillaume Musso, Beigbeder, Michel Sardou, etc. Le trait est vif, les Grandes Têtes Molles de notre époque de conformisme à tout va sont bien croquées… Dans cette « exposition » de portraits, je choisis sans hésiter Beigbeder : « Être aussi cool que toi est ma seule ambition. […] Forme aphoristique, textes ultra-courts et racoleurs à destination des décervelés rivés à l’écran tactile. » Touché !
L’originalité d’Esnault est d’assumer sa mauvaise foi sans vergogne et sans entraves : « Comme vous avez une rubrique Courrier des lecteurs, j’ai pensé à vous. » (In « Cher Matricule des anges ».) C’est un livre pas sérieux du tout : « Da… da… »
Pour le plaisir de mon lecteur, au cours de ma lecture, j’ai relevé ces petites grenades dégoupillées :
« Ma femme veut un enfant. […] Je suis nostalgique des instants heureux de mon enfance où on faisait au BN à la fraise la part belle, mais il se trouve que depuis (je suis né en 1972), vous avez changé la recette et que cela me semble une gravissime erreur de votre part. Peut-on donner naissance à un enfant dans un monde où le goût décline si tristement ? […] Nous souhaitons ma femme et moi le meilleur pour l’enfant à venir et sa venue au monde dépend entièrement de l’intérêt que vous porterez à cette lettre. / Dans l’amour du goût. » (« À l’attention du chef de produit BN à la fraise »). BAOUM !
Ou bien : « Autrefois j’allumais le poste branché sur votre fréquence dès le réveil. […] Je mettais souvent des coups de pied dans le poste, furax d’entendre autant de conneries. Un jour, il n’a plus fonctionné. Ça m’a semblé complètement débile d’en acheter un autre. » (France Inter). BRAOUM ! Aïe !
Oui, « j’écris des lettres assassines », clame l’auteur dans une lettre aux « filles de Causette » (un magazine féminin débile à souhait). Parfois même, il avoue, oui, avoir, « écrit beaucoup de textes suicidaires » ; mais que désormais il souhaiterait « renouer avec [sa] nature profonde de grand comique populaire » et, par exemple, écrire de nouvelles formules de « la blague Carambar, écrite, littéraire, hilarante » (in « Bidonnant Carambar »). Allons, ça suffira comme ça.
Rien ni personne (pas même l’auteur, peu frileux d’autodérision) n’échappe à la langue-épée caustique de notre auteur sans complexes – pas même celui qui semble être son éditeur, David Marsac (c’est là le côté kamikaze d’Esnault, qui n’hésite pas non plus à railler des revues littéraires qui l’ont pourtant déjà publié, Décapage et Décharge) : « Tu m’avais stimulé un maximum en m’affirmant que les procès seraient les bienvenus, que ça me vaudrait des invitations sur France Culture et des papiers incroyables dans la presse nationale. Et puis, comme t’es un pétochard fini, t’as écarté mes meilleures lettres (celles qui étaient vraiment ultra polémiques et politiques). On me citera en note de bas de page dans une thèse consacrée à la bienséance dans la littérature épistolaire contemporaine. » (In « David Marsac »). Bah ! Mediapart est un journal « bienpensant de gauche », c’est entendu, mais au moins son audience est nationale… ‘Suffit de faire circuler… Laissez passer les textes libres !… TUTÛT !
Dans une lettre à Gibert Joseph (dans laquelle l’auteur se plaint du manque de discrétion et de compassion de certains journalistes littéraires qui refourguent chez Gibert les envois de service de presse avant même la sortie officielle des livres – ordures !), je trouve une belle mise en abîme de mon propre texte on line : « Il y en aura bien un [parmi les lecteurs de la solderie de chez Gibert] pour rédiger sur son blog une critique en français approximatif, que je relaierai sur mon Facebook. » Allez, vas-y, Christophe ! Relaie donc !… « Là, ça déboulera de tout côté pour me réclamer du S.P. » MM. Les critiques littéraires, à vos postes !
On sait que juridiquement les lettres appartiennent aux destinataires ; maintenant que les ennemis de Christophe Esnault les ont entre les mains, on attend impatiemment leurs réponses… David Marsac, j’exige de vous lire.
G.B.
[1] « L’Enculé de Marc-Édouard Nabe : vers un nouveau romanesque. »
[2] Voici ce que j’en dis dans mon (L)Ivre : « ah j’entends une protestation tu n’aimes pas les blogs tu préfères twitter cette école de la concision alors fais comme déjà 90 000 personnes abonne-toi au compte tweeter de bernard pipeau ainsi tu pourras lire gratuitement ses haïkus ô certainement très géométriques et t’épargner de débourser inutilement les 20 euros d’une publication à venir aux éditions saint michel tirs fusants rasants en filigrane du néant j’ai maintenant tout insulté tout calomnié du 21e siècle ayant dit je me dissipe dans la nuit noire ».