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Billet de blog 18 février 2015

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Nabe du côté de chez Ford

  Chaque époque historique accueille (ou pas) son chef-d’œuvre romanesque : la Guerre de Troie son Illiade, la Guerre d’Espagne son Pour qui sonne le glas, la Première Guerre mondiale son Voyage au bout de la nuit, la Seconde Guerre mondiale son D’un château l’autre, l’extermination des Indiens d’Amérique du Nord son grand film, Cheyenne Autumn de John Ford (1963), la Deuxième Guerre d’Irak son Printemps de feu (2003).

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Chaque époque historique accueille (ou pas) son chef-d’œuvre romanesque : la Guerre de Troie son Illiade, la Guerre d’Espagne son Pour qui sonne le glas, la Première Guerre mondiale son Voyage au bout de la nuit, la Seconde Guerre mondiale son D’un château l’autre, l’extermination des Indiens d’Amérique du Nord son grand film, Cheyenne Autumn de John Ford (1963), la Deuxième Guerre d’Irak son Printemps de feu (2003). Comme l’on voit, chaque fois, un seul film ou roman rafle la mise et dit toute la Vérité d’une période tragique importante. Quel est le point commun entre toutes ses œuvres, sauf l’avant-dernière et l'Illiade (mais, alors, le temps n'avait pas la même épaisseur – en 4 ou 500 ans, certainement beaucoup moins de choses avaient changé dans les mœurs qu'en 20 aujourd'hui) ? Eh bien le fait que tous leurs auteurs ont été personnellement impliqués dans les événements dramatiques transfigurés. Pas de véritable littérature sans contrainte intérieure forte, « comment s’attarder à des livres où, sensiblement, l’auteur n’a pas été contraint ? », cela a été dit et redit… D’où, entre parenthèses, la faiblesse manifeste d’œuvres prenant pour sujet une grande guerre passée non vécue directement par l’auteur : je n’ai pas pu, personnellement, dépasser la quatrième page du pâle 14 de Jean Echenoz… Pourquoi diable un auteur si typiquement « Minuit » et né en 1947 est-il allé s’égarer dans la figure imposée « Grande Guerre » ? Effet centenaire ? Passons… Et pourquoi donc a-t-il fallu attendre 1963 pour qu’un cinéaste Américain dise enfin la vérité sur le génocide des Indiens d’Amérique ? Eh bien, c’est très simple – et ce film le montre très bien –, avant cette date le drame était trop proche, les blessures pas encore cicatrisées, en bref le sujet trop brûlant : il a fallu attendre longtemps – plus de 70 ans ! – pour qu’un artiste regarde les choses un peu plus calmement et rétablisse la Vérité historique : les Indiens ont été spoliés de leurs terres ancestrales pour des raisons économiques, au mépris même d’accords gouvernementaux sur les réserves qui leur avaient été exclusivement dévolues : il fallait faire passer le chemin de fer. « On » l’a dit, « un bon Indien est un Indien mort » ; il a donc fallu que tous les Indiens soient morts (ou tout du moins rendus inoffensifs) depuis longtemps pour que l’Occident accepte de regarder en face son Histoire sanglante. Le film crépusculaire de Ford le montre bien : les Cheyennes du film sont montrés comme des terroristes par la presse américaine de l’époque ; s’ils avaient réellement tué disons une famille de 10 personnes, le téléphone « arabe » médiatique augmentait ce nombre des victimes jusqu’à 100 ou 200 dans les journaux de Washington… Pensez-vous vraiment que cela a beaucoup changé ? Eh non ! Si moi, « bourgeois occidental », j’avais vécu en Angleterre au temps de Robin des Bois, c’est-à-dire au XIIe ou XIIIe siècle, j’aurais automatiquement considéré ce héros moderne comme un « terroriste » ; d’ailleurs ce célèbre archer, proscrit par les bourgeois Normands, avait dû se réfugier dans la désormais fameuse forêt de Sherwood. En filmant en 70 mm VistaVision[1] l’épopée des derniers Cheyennes libres pour retrouver leur dignité sur une terre vierge d’industrialisation occidentale, celle de leurs ancêtres, Ford crée du mythe, l’un des derniers mythes modernes pour l’Amérique du Nord – il ne fait pas différemment qu’Ovide inventant ses Métamorphoses : en « romançant » l’Histoire, il atteint à plus de vérité que tous les « documenteurs »… Bien.

  Nous pouvons maintenant en venir à notre sujet principal, le livre de Marc-Édouard Nabe qui s’appelle Printemps de feu, écrit en live pendant la Seconde Guerre d’Irak (la (très) mal nommée opération Iraqi Freedom) au printemps 2003 et publié par le héros des éditions du Rocher d’alors, Jean-Pierre Bertrand, dès le mois d’août de la même année ! Vous avez mieux comme vitesse de fabrication ? J’ai déjà écrit ailleurs sur Mediapart[2] que Nabe a l’oreille absolue pour les types d’explosions ; eh bien dans Printemps de feu nous assistons à un véritable festival – un feu d’artifice sonore : « BOUM ! », « BAOUMMRR !!! », « BAOUM ! », ou bien « Booom !… », parfois « BRAOOOM ! » ou même « BOOOOMM !!! » Comme l’écrit Nabe, « les bombardements, c’est comme des feux d’artifice, mais sans l’artifice de la fête »… « Feux partout ! Flashes des bombes ! » Voici son secret même pas caché :

  « Bombe ou Tomahawk ? Car maintenant, je sais distinguer l’un de l’autre : avant de frapper, le missile satellisé passe d’abord au ras des toits (Pffff… Bouam !), tandis que la bombe anti-bunker provoque après sa chute des vibrations qui semblent sourdre du sol : BOUM… Brrrr… ! »

  L’oreille… je vous dis… toujours c’est l’oreille qui fait le grand écrivain.

  On se rappelle comment  Ford résumait sa carrière artistique : « Je suis arrivé à Hollywood en chemin de fer, et j’ai tourné des westerns… » Ce faisant, il s'est tout simplement fait historien de son propre pays d'adoption, cela a été dit. Il convient de dire que Nabe est entré en Irak en pleine guerre en taxi, depuis la Syrie… et qu’il a décidé de transfigurer les événements dramatiques d’alors en un « direct » romanesque. Mais je ne vous dévoile pas plus l’action de ce « roman de la réalité » : l'automne d'un grand chef Indien de Mésopotamie, Saddam Hussein (un « bon » dictateur mésopotamien est un dictateur... mort) : il fallait sécuriser l'approvisionnement en pétrole... Je ne vais pas gâcher votre plaisir…

  Que ce livre, qui arrive à créer du mythe pour notre temps, comme Orson Welles arrivait à le faire dans F for Fake ou Citizen Kane, ait été ignoré par la quasi-totalité de la « critique » française est tout simplement scandaleux. Elle aura du mal à s’en remettre au Jugement dernier… Voyez les thèmes et les personnages que brasse ce livre : Les Mille et Une Nuits, Shéhérazade, Sinbad, Don Quichotte, Henri V, Hussein Mansour al-Hallâj, Ézéchiel, Abraham, la Tour de Babel, Jérémie etc. etc. Dans le cinéma, art qui a été autrement vivant, cela n’est pas arrivé… Qu’est-ce qui fait que pour les « gens de lettres » il soit apparemment insupportable qu’une langue se lève ? C’est un mystère… Pour moi, qui suis gourmand, plus il y a de grands écrivains et de bons livres, plus je suis content. Je ne veux que jouir par l’oreille ! Que jouir se toujourise !… Suis-je un « cas » si isolé ? Pour rattraper cette grande erreur et sauver l’honneur littéraire de toute mon époque, je dois hic et nunc annoncer que c’est donc moi qui vais écrire la première grande étude sur l’œuvre de Nabe, cela devrait s’appeler Le Procès Nabe[3].

  Quoi ? Quelque lecteur doute déjà de la véracité du récit de Nabe pris entre Shéhérazade, Sinbad et Saddam Hussein… On se souvient du mot définitif de John Ford : « When the legend becomes fact, print the legend ![4] »

G.B.


[1] Qu’il me soit ici permis de saluer le très beau travail de recherche de copies effectué par l’un des programmateurs de la Cinémathèque française, Jean-François Rauger, pour l'actuelle rétrospective Ford qui s'y tient – la copie 70 mm de Cheyenne Autumn, sous-titrée en Néerlandais, venant sans doute de Hollande, était tout simplement sublime ! Ô le son du 70 mm... Indépassable ! Quelque chose qui disparaît…

[2] Cf mon texte de janvier 2015 « Bordelgrad contre Soumission ».

[3] En écho d’une émission d’Arte consacrée à Louis-Ferdinand Céline, « Le procès Céline », dans laquelle d’ailleurs intervient Nabe (1 mn et 40 sec monté pour 1 heure et 40 mn d’entretien réalisé…) On notera qu’entre 1945 et 1960, personne ne pouvait seulement même prononcer le nom de Céline sans être accusé de fanatisme plus ou moins « fasciste »… À bon entendeur…

[4] In L’Homme qui tua Liberty Valance.

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