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Billet de blog 28 janvier 2015

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BORDELGRAD CONTRE SOUMISSION

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

  Il n’a échappé à personne la signification sémantique du titre du dernier best-seller de Michel Houellebecq : « soumission » : « état d’une personne qui se soumet à une puissance autoritaire » selon Le petit Robert ; contraire : « désobéissance, insoumission, résistance ». On sait qu’à la fin de ce « roman à thèse » (ainsi que le sont tous les romans de l’auteur français vivant « le plus commenté à l’étranger »), le narrateur finit par se soumettre à la Haute autorité qui gouverne la France (peu importe ce qu’elle est en vérité – elle est « l’Autorité », point), laquelle a d’ailleurs soumis toutes les femmes : retour au foyer etc. Voici un nouveau roman de science-fiction tel que nous a habitués à en produire Houellebecq depuis Les particules élémentaires : clonage en voie de généralisation, solitude sexuelle (et misère subséquente) de tous les individus, transformation de la France en terre de tourisme désindustrialisée (la France réduite à ses clichés : baguette, Camembert et béret basque), etc. Le tout dans une écriture plate et « scientifique » – l’écriture vue comme une science comme une autre… Quant au désir vu par Houellebecq, dans Les Particules élémentaires, cela donnait ça :

  « À partir de l’âge de 13 ans, sous l’influence de la progestérone et de l’œs­tradiol secrété par les ovaires, des coussinets grais­seux se dé­posent chez la jeune fille à la hauteur des seins et des fesses ; ces organes acquièrent dans le meilleur des cas un as­pect plus harmo­nieux et rond, leur contemplation produit alors chez l’homme un violent désir. »

  Dans un livre encore inédit, (L)ivre de papier, j’oppose à ce degré-zéro du désir et de l’écriture érotique des passages trouvés chez Stendhal ou dans Le Cantique des Cantiques ; cela donne ça (dans une écriture percurrente non-ponctuée) :

« lisez ceci béa­trix alors à peine âgée de 14 ans et déjà dans tout l’éclat d’une ravissante beauté ou bien elle avait des mules de ve­lours blanc lacées avec élégance et retenues par des cor­dons cramoisis et surtout ses jolis cheveux d’un blond fon­cé dessinaient si bien l’ovale de cette figure charmante 1837 et comparez avec ça [extrait des Particules élémentaires cité supra] 1998 soupesez voyez-vous le pro­grès cet écrit prouve la chute et l’expul­sion du paradis ori­ginel on a bien achevé la métaphy­sique oyez oyez tes joues des moitiés de gre­nades derrière ton voile tes deux seins deux faons jumeaux d’une gazelle qui paissent par­mi les lis ô sainte chair c’était un voyage au passéoscope périscope tout-sorti »

  Mais c’est encore l’écrivain maudit Marc-Édouard Nabe, sur lequel règne une véritable conspiration du silence – j’y reviendrai –, qui a le mieux disséqué l’œuvre de Houellebecq, dans son Vingt-septième Livre[1] : « une véritable autopsie de Michel par un vivant », selon ses propres mots. Ce court texte est la meilleure critique (d’un point de vue littéraire) de l’œuvre de Houellebecq ; celle qui dessille nos yeux trop collés de propagande journalistique. Lisez ça :

  « Roman à thèse + écriture plate + athéisme revendiqué + critique de son temps (mais pas trop) + culture rock-pop + défense du capitalisme + attaque des Arabes = succès garanti. »

  Le premier exégète français de son œuvre, feu Bernard Maris, ne s’y est pas trompé, titrant son étude sur lui Houellebecq économiste – titre a-littéraire s'il en est. Écoutons l’auteur-économiste interviewé dans L’Obs du 24 décembre 2014 : « À mes yeux, cet être ultrasensible est un immense écrivain dont les fictions lucides et grinçantes nous parlent […] de notre étrange condition d’Homo economicus toujours plus désirant, et toujours plus privé d’amour. Comment ne pas s’y reconnaître ? Houellebecq joue avec nos peurs. Il y a dans chacun de ses romans une angoisse insidieuse qui enserre les personnages et les lecteurs avant de les rendre à leur condition. » En plein dans le mille, le professeur d’économie ! Il confirme très simplement et totalement les intuitions nabiennes…

  Quant à la thèse de science-fiction politique qui sous-tend tout le dernier livre de Houellebecq (prise de pouvoir d’un Parti islamiste en France), je la trouve d’un goût douteux propre à exciter tous les extrémismes et les replis identitaires. À cet « avenir plausible » selon Houellebecq, j’opposerai le joyeux bordel imaginé par son concurrent direct des années 1990, Nabe, dans une fiction censée être le Cinquième voyage de Gulliver au pays du « grand bordel », « Bordelgrad[2] », en réalité Paris. Ce récit est resté malheureusement inachevé ; il n’en reste que quelques traces hilarantes d’invention et de poésie dans Tohu-Bohu, le deuxième tome du Journal intime (un chef-d'œuvre du genre – et je pèse mes mots) de l’écrivain diabolisé. On y apprend qu’aux « romans d’anticipations robotisants de Huxley, d’Orwell et autre Wells [cherchez l’auteur manquant…] », Nabe préféra imaginer une « parabole satirique anti-utopique et amorale ». Nabe du côté de chez Swift et Rabelais… Inventeur de langue autrement méritant… Pas scientifique du langage formé à Wikipédia pour un sou… D'ailleurs, dès son fameux Apostrophes 1985, il avait déclaré « rechercher le chaos intégral » (en littérature – qui confond encore le livre et son auteur ?) et aimer « foutre le bordel ». Ce que nous allons commencer de démontrer.

  Lisez un extrait par-dessus mon épaule :

  « Toutes les vingt-cinq secondes une détonation plus ou moins proche résonnait aux oreilles interrogatrices de Gulliver.

  ― Mais que sont ces explosions ?

  ― Les attentats ! répondit Clodot. Partout à Bordelgrad, sans arrêt, il y a des attentats à la bombe. Ça s’est accéléré depuis quelques années. Avant il n’y en avait qu’un par semaine. Le progrès politique a reconsidéré cette cadence. Les Bordelgradiens sont plus à l’aise à ce rythme. Attends… Celui-là, c’est un chiite. Je l’ai reconnu au son. C’est toute une gamme, j’ai l’attentat absolu… Les explosions scandent la vie quotidienne, la parfument de risque… »

  On sait (ou on devrait savoir) que Nabe, très bon guitariste de jazz, a l’oreille absolue pour les sons.

  Toute ressemblance avec une quelconque situation actuelle serait totalement fortuite… Ceci est, bien sûr, une « fiction théorique ».

  Mais que font nos sémioticiens ? Où sont-ils passés ?

G.B.


[1] Éditions Le Dilettante, 2009.

[2] Tentative d'anagramme sur « GRAND BORDEL » ; en réalité soviétisation du mot « bordel ».

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