Sur les éditeurs
En 1985 un écrivain, l’un des tout meilleurs de sa génération, mais victime (pour cause de péché majeur, j’y reviendrai dans un prochain écrit qui devrait s’appeler Le Procès Nabe) d’une chape de silence autour de son nom et de son œuvre – une véritable omerta ! – écrivait, dans son premier livre : « Les éditeurs, il ne faut pas trop leur en vouloir : ce sont des gardiens de cimetières... Ils améliorent de vieilles tombes : pas question d'examiner ceux qui remuent encore. Ils ne se laissent même pas affoler par les feux follets. Je ne croirai à un éditeur que s'il prie. » Trente ans après, la situation semble s’être encore dégradée un peu plus ; essayez donc comme moi de publier des essais monographiques sur des écrivains vivants (Jean-Jacques Schuhl, du dandysme en littérature est le titre du mien en lecture chez une quinzaine d’éditeurs – il a déjà essuyé une demi-douzaine de refus – malgré un copieux extrait (20 pages) dans la meilleure revue littéraire de notre époque, L’Infini (n° 127), Sollers semblant être l’un des derniers directeurs de collection littéraire à aimer vraiment la littérature… –, dont, et l’Histoire littéraire jugera, Gallimard… qui a donc refusé de publier le premier essai plaçant au plus haut pour la postérité l’un de ses deux ou trois plus beaux auteurs vivants)… vous verrez alors les portes se fermer les unes après les autres… C’est que lorsque vous écrivez sur du vivant, alors oui, vous risquez de vous tromper. C’est un coup de dés. Une révolution esthétique. Tandis que lorsque vous écrivez sur Marguerite Duras, à l’occasion du centenaire de sa mort (aidé par le C.N.L.1 qui plus est, allez donc voir sur le site de cet organisme d’aide à la culture d’État…), ou bien sur Michel Foucault, à l’occasion du trentenaire de sa mort, eh bien, c’est le banco assuré ! Tout le monde (ou presque) connaissant leurs noms (à défaut de lire leurs œuvres), les livres sont assurés de se vendre… Idem pour les biographies des grands cadavres bien refroidis… Freud, Van Gogh et Cie… Plus c’est refroidi… mieux c’est ! Société totalement nécrophile ! Il faut désormais être totalement FUTURISTE (un siècle après les italiens), et mépriser "l'impuissant qui méprise les artistes vivants comme une vieille fille aigrie méprise les femmes florissantes, et qui en étudiant les morts croit les égaler et même les dépasser". Il faut laisser crever l'édition et se faire artiste dans son coin. Attendre que la désaffection soit totale pour rentrer dans la Littérature. M'y voilà moi, seul dans la nef, le Paradis ! HIP ! HIP ! HIP ! HOURRAH !
Sur les producteurs
Vous savez déjà que tous les producteurs et distributeurs de cinéma se sont ligués pour diminuer les coûts de tirage de copies des films contemporains encore tournés sur pellicule – cet anachronisme (ainsi même un cinéaste comme Philippe Garrel, qui est un adorateur de la pellicule, doit et devra se contenter de voir son film 35 mm au laboratoire (il n’en sortira plus) ; seul Quentin Tarantino peut encore se payer le luxe de faire tirer lui-même une copie de ses films (les films sont plus beaux comme cela, c’est l’évidence), il est assez riche mais il est le seul et l’un des derniers) – ainsi que ceux du patrimoine cinématographique mondial passé – En réalité plus de copies du tout ! mais des fac-similés à plus ou moins haute définition (2K ou 4K) – des reproductions… (qui détruisent la vibration naturelle des films Lumière.) Bon mais je ne vais pas sans arrêt me répéter, je me permets de vous renvoyer à deux textes déjà écrits :
http://laregledujeu.org/2014/05/06/16876/trahison-de-langlois-tous-les-apres-midis/
http://guillaumebasquin.publicoton.fr/de-l-exposition-des-cineastes-et-de-deux-ecoles-193454
Or que voit-on se profiler à l’horizon de cette rentrée cinéphile ? D’un côté la Cinémathèque française a tiré des copies 35 mm neuves d’un excellent cinéaste méconnu, Guy Gilles (et je lui suis reconnaissant de ce « geste » héroïque). Ce cinéaste un temps oublié avant sa résurrection actuelle n’a pas encore intéressé les distributeurs – pas assez bankable – ; et c’est donc seulement pour cette raison que j’ai pu voir son chef-d’œuvre de 1967 Au pan coupé avec ses couleurs et sa vibration moirée d’origine sur une « copie neuve La Cinémathèque française » le 27 septembre 2014. J’entends que vous commencez à ne me pas croire… Bien. Ouvrez donc avec moi le programme d’automne de la Cinémathèque à la page 14 : vous voyez que la plupart des films de François Truffaut, dont l’ « ex-révolutionnaire » (ne me faites pas rire…) Marin Karmitz a racheté les droits, sont montrés en fac-similés haute définition. La Peau douce ? « Version numérique restaurée en haute définition par MK2 », dit le programme… Un rapt de l’art de montrer (c’est-à-dire projeter) les films ! La Cinémathèque française possède ces films dans sa collection, bien sûr, mais le distributeur MK2 lui interdit de les montrer en public. QED.
Après-dire
Ah ! je sens qu’on va dire : « Ce Guillaume Basquin est aigri… On lui refuse ses manuscrits, alors il se venge ainsi… » Je laisse Ezra Pound répondre à ma place : « Il est très difficile de faire comprendre aux gens cette indignation impersonnelle qui vous prend à l’idée du déclin de la littérature, de ce que cela produit en fin de compte. Il est à peu près impossible d’exprimer à quelque degré que ce soit cette indignation, sans qu’aussitôt l’on vous traite d’aigri ou de quelque chose du même genre. » (in ABC de la lecture.)
Mon ami Éric Rondepierre, photographe et écrivain, pense même que c’est pour toutes ces raisons que nous nous dirigeons tout droit vers la fin du livre de littérature. Pari ?
Note : 1. Centre National du Livre.