Guillaume Buttin

Abonné·e de Mediapart

1 Billets

0 Édition

Billet de blog 16 novembre 2020

Guillaume Buttin

Abonné·e de Mediapart

De l'autoritarisme scopique

Si la loi de Sécurité Globale avait été promulguée un an plus tôt, le réalisateur David Dufresne n’aurait jamais pu réaliser son documentaire : « Un pays qui se tient sage ». Deux ans plus tôt, certains n’auraient peut-être jamais pu témoigner des violences dont ils ont été victimes avec la même intensité, la même véracité.

Guillaume Buttin

Abonné·e de Mediapart

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

« Un pays qui se tient sage », c'est une œuvre qui questionne grâce à divers intervenants, dans le cadre du mouvement des gilets jaunes, l’émergence de ces images de violences innombrables sur la place publique. Lorsqu’à l’écran noir, actant la fin dudit documentaire, se succèdent les noms des invités qui ont refusé d’y participer, les haut gradés des forces de police laissent place aux autres – pour la plupart suite au refus de leur hiérarchie de les laisser participer à ce débat. Cette nouvelle occasion manquée de pouvoir questionner l’accumulation de tensions sociétales lors d’un échange démocratique est symptomatique de ce que la loi de Sécurité Globale amorce ou proroge quant à la gestion de l’ordre en France.

Dans un contexte tendu, cette loi intervient comme un geste de bienveillance envers les forces de l’ordre après une hausse des actes violents et d’une défiance croissante à leur encontre. Deux solutions s’offraient donc à la place Beauvau : l’apaisement, par la remise en cause de la doctrine, ou la réponse sécuritaire, qui garantirait davantage l’irresponsabilité de l’institution lors des dérives de certains de ses membres. Les éléments de langage du gouvernement ne laissaient que peu de doute quant à la voie empruntée ; de l’ensauvagement à l’invisibilisation des violences policières, la réponse sécuritaire est claire. N’ayant rien à envier aux lois scélérates du passé, les articles mis en cause dans cette loi sont les deux faces de la même médaille. D’une part le renforcement des outils de surveillance dont disposent les forces de l’ordre, de l’autre le renforcement de leur droit à se prémunir d’images utilisées à leur encontre. Surveillance par drone, reconnaissance faciale, retransmission vidéo en direct au poste de commandement d’un côté, censure et attaque juridique de l’autre. Pour le gouvernement et une partie de l’hémicycle, l’équation est simple : suppression des images, suppression des violences.

Au titre du droit inaliénable à la sécurité que notre Constitution assure à ses citoyens, il est évident que les forces de l’ordre puissent s’en prévaloir. La mise en place de dispositifs assurant leur sécurité est donc essentielle. Seulement, cette protection ne peut se faire au détriment de celle de leurs concitoyens. Or aujourd’hui, qui du manifestant ou du policier dispose du meilleur arsenal de défense de ce droit ? Qui trouve un soutien de fait dans l’exercice de ses fonctions ? Qui voit le plus souvent son droit bafoué par une doctrine de gestion de l’ordre tirée de théories éculées du XIXème siècle ? Qui, enfin, a vu le plus souvent son corps mutilé par l’incompétence ?

À la protection physique de l’arme et de l’insigne s’ajoute l’armure symbolique du corps et de l’État. Et défendre l’inviolabilité de l’uniforme, c’est ouvrir les bras à l’autoritarisme manichéen, bâillon de la nuance. N’oublions pas que le silence assourdissant de la justice face aux dérives policières enferre déjà trop souvent le cri étouffé de ses victimes, et que l’Histoire nous apprend qu’un jour viendra où les cris légitimes des oppressés se substitueront à loi du talion et à sa spirale inexorable. De ce fait, nos forces de l’ordre doivent conserver l’image brillante de la garde républicaine, serviteur de la Constitution, sans jamais glisser vers l’arbitraire d’une garde prétorienne.

En cela, le gouvernement doit faire le choix de l’apaisement et de la discussion face à cette loi qui renforce la fracture et la division. Il doit faire le choix de questionner son bras armé pour ne pas armer celui d’autres citoyens. Il doit remettre les hommes à leur place devant la loi, responsables de leurs actes pour que l’exemplarité laisse place à l’impunité.

Nous ne pouvons rester muets quand des milliers de citoyens s’apprêtent à perdre la seule arme de légitime défense dont ils disposent. Une arme symbolique qu’ils opposent aux L.B.D., grenades et humiliations qu’une infime fraction des forces de l’ordre utilisent illégalement. Une infime fraction qui agit dans l’impunité la plus totale, salissant toute l’institution dont elle porte si fièrement l’insigne. Une infime fraction qui ne doit plus être le visage des milliers d’autres qui respectent l’idéal républicain.


Alors aujourd’hui, gardons le contrôle de nos images, pour que notre République reste à l’image de ce qu’elle promeut, une idée libre et digne qui assure l’exercice de nos libertés.

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.