Représentant. Celui, celle qui a reçu mandat ou qui a la charge de remplacer une personne ou une collectivité dans l'exercice de ses droits, dans la défense de ses intérêts.
Qu'est-ce qu'un homme, une femme politique, si ce n'est un représentant du peuple ? Notre démocratie représentative fait de celles et ceux qui sont désignés par le suffrage, aujourd'hui universel et direct pour la quasi-totalité des élections, avant tout, un échantillon de citoyens. La démocratie est née de cette ardente volonté d'être en capacité de se reconnaître dans les décisions prises par le pouvoir, au nom de l'intérêt supérieur de la nation, c'est-à-dire en premier lieu des femmes et des hommes qui la composent. Lorsque les colons américains se soulèvent contre la main-mise de la Couronne britannique qui les impose sans leur laisser le loisir de s'exprimer sur le devenir des fonds amassés, ils le font au cri de "Taxation without representation is tyranny". La monarchie française, comme d'autres avant elle, avait conçu un subterfuge habile pour contrer les velléités de représentation des sujets : la monarchie de droit divin. Le roi, lui-même représentant d'une force transcendante, accomplit une œuvre divine qui se souffre aucune contestation. La remise en cause d'un caractère spirituel de l'autorité politique, le réduisant à un cadre temporel, ouvre la voie à une nouvelle conception des rapports entre pouvoir et peuple.
L'intérêt général sublime la simple somme des intérêts particuliers, et cet acte de sublimation ne peut se faire par la volonté d'un seul, roi ou régent, si éclairé soit-il. Ce dépassement des particularismes ne se conçoit que par le libre consentement des individus qui décident de mettre en partage leur présent et leur avenir. Il s'organise souvent par la désignation d'hommes - trop rarement de femmes - qui vont porter cette voix au-delà des familles et des clans, pour lui assurer une marche harmonieuse et susceptible de remplir les objectifs fixés par toutes et tous. Le citoyen, pouvant se reconnaître dans le processus de décision, l'admet et le met en pratique. Mais qui sont réellement ces représentants, qui mettent en action la volonté commune ? Ils sont tour à tour porte-parole des colères et des convictions des citoyens, et bien vite façonneurs d'opinion. Aux manettes de l'Etat, disposant d'outils d'analyse, de prospective, d'action sans commune mesure avec le reste des citoyens, ils ne se contentent plus de mettre en œuvre les choix collectivement assumés, ils conçoivent les futurs possibles qui seront sanctionnés par le scrutin. Cette tension aurait-elle à l'origine de la rupture du lien entre représentants et représentés, rupture ressentie par beaucoup aujourd'hui ? La balance serait-elle trop déséquilibrée ? Si oui, comment y remédier ?
Certains, à droite, semblent y répondre en collant, sans doute de manière artificielle, manipulatrice et électoraliste, au "parler vrai". Nicolas Sarkozy, dans une tribune du Monde datée du 8 décembre 2009, nous invite à rejeter une "méfiance viscérale pour tout ce qui vient du peuple". Appel à renouer avec la "France d'en bas", actant définitivement l'existence d'une "France d'en haut", inaccessible à la plupart, mais qui fera mine, de temps à autre, de s'interroger sur les misères de la plèbe. Les viscères, la politique des tripes, qui parle d'instinct, mais ne se préoccupe pas des blessures charnelles du peuple. Cette politique-là déconnecte le langage, creux mais exaltant, de l'action, injuste et sans répit. Représente-elle encore vraiment, lorsqu'elle ne cherche qu'à séduire, à plaire, à courtiser les différents électorats pour gouverner à sa guise ? Cet appel peut être un lointain écho de la politique des "promesses qui n'engagent que ceux qui les croient". La coupure réside là, dans ce décalage entre les paroles et les actes politiques. Le monde du paraître et le monde du faire. C'est dans la dichotomie entre ces deux univers, de l'institution sociale d'une notion et de sa concrétisation politique, que nait un malaise dont sont rendus responsables nos représentants, garants de la communication de ces deux mondes. S'il existe un problème consubstantiel à l'organisation de la démocratie représentative, la question de la pratique politique est tout aussi importante pour répondre à ce défi. Exemplarité dans les propos, dans la gestion des finances publiques, dans l'éthique républicaine. Pour renouer le lien entre citoyen et représentant, entre idéal et réalité, nous devons contraindre nos représentants à ne pas oublier le vrai sens de leur mission : exprimer au nom d'un groupe une parole politique et la convertir en actes. Redonner ces lettres de noblesse à la représentation politique, c'est cela : battre en brèche les accusations d'une politique technocratique, rendre la parole aux citoyens pour concevoir une action collégiale où le représentation est un maître d'œuvre. Cet acte de représentation engage dès lors celui qui porte mandat d'action, mais aussi ceux qui délèguent leur pouvoir. Ce lien ne se renforcera que si nous travaillons ardemment sur les deux extrémités de la chaîne. Que le représentant dialogue sans filtre ni dédain avec les citoyens. Que les citoyens puissent échanger avec leur représentant, participer pour l'amener à porter une parole forte. Ce lien n'est pas qu'un lien de circonstance, il est un projet en partage, un engagement réciproque.
"Pour nous, il nous faut choisir : ou faire, à notre tour, de notre peuple un clavier qui vibre, aveuglément, au magnétisme de quelques chefs ; ou le former à être le collaborateur conscient des représentants qu'il s'est lui-même donnés."
Marc Bloch