Communauté. État, caractère de ce qui est commun à plusieurs personnes.
Voici encore un mot riche de sens, de promesse, qui a été progressivement réduit à ses acceptions les plus nuisibles. La communauté a trop été assimilée à l'idée de repli communautaire, de balkanisation de l'espace public en d'innombrables parcelles closes, où l'on préfère vivre dans le réconfort du groupe de ses semblables plutôt qu'affronter l'altérité piquante mais revigorante de la multitude. La communauté s'est refermée sur le piège de l'identité une, qui segmente aussi durablement que brutalement le monde entre "eux" et "nous" autour d'un critère commun. Bref, la communauté s'est peu à peu érigée en forteresse protectrice, ou plutôt en bastille imprenable ; ou s'est-elle laissée faire... De ce tableau d'une communauté encerclée par des frontières pestilentielles, on nous a rabattu les oreilles : la communauté, c'est la défense de l'entre-soi contre l'intérêt général, c'est l'absolu synonyme du corporatisme le plus autiste. Cette déformation sémantique nous a fait oublier que la communauté peut être ouverte sur la société, et qu'elle peut être l'outil de construction d'un idéal en partage, au service de tous.
Nous devons dès aujourd'hui raviver l'idée de la communauté au service de la société. Face à la diabolisation du corporatisme, il faut revendiquer l'émergence de la communauté éducative (reconnue par la loi Haby de 1975 et réaffirmée par la loi Jospin de 1989), d'une communauté hospitalière, ou encore d'une communauté scientifique. Par là, il s'agit bien entendu d'aller au-delà de la défense d'une profession précise, mais bien de penser le fonctionnement d'une sphère de la société dans son ensemble, avec tous les acteurs et les usagers. Autour de valeurs communes, d'organes de fonctionnement légitimes et démocratiques, où chacun a voix au chapitre, la communauté peut développer une solidarité s'articulant entre l'échelle du groupe et celle de la société toute entière. Pour cela, il faut lui faire confiance, et privilégier le dialogue au dirigisme. Imposer ce dernier, c'est le chemin le plus rapide et le plus direct vers le repli d'un groupe se sentant alors agressé, meurtri dans sa capacité à assurer par lui-même son développement au service des autres. Ne pas reprendre des indicateurs bibliographiques absurdes, qui ne décrivent que très approximativement la réalité du travail de recherche, comme seul outil d'évaluation des enseignants-chercheurs dans les universités, et revenir à une réelle appréciation par les pairs. Ne pas attendre que la définition de l'excellence tombe excellemment du haut d'un ministère (apprécions à ce propos la sagacité intellectuelle de Valérie Pécresse : "L'excellence, c'est le meilleur."), mais faire en sorte qu'elle découle d'une réflexion collective sur les pistes prioritaires, en terme de moyens financiers et humains, d'autonomie et de retombées externes. Mettre un terme à la gestion reptilienne des hôpitaux, froide et rampante, pour permettre à l'ensemble des personnels de définir un mode de gestion en phase avec les besoins des patients dans le bassin de vie où l'établissement est implanté. Cesser d'imposer programmes ineptes et rythmes scolaires incohérents non pas aux seuls professeurs, mais à l'ensemble de la chaîne scolaire, de l'élève au parent en passant par l'ensemble des acteurs qui gravitent autour de l'école (des infirmières aux psychologues et aux élus du quartier).
La communauté doit devenir un écosystème parfaitement intégré, dont l'autonomie de gestion se conjugue avec un contact étroit et permanent à son environnement immédiat. C'est un appel à ce que l'on baptisait les "corps intermédiaires", aujourd'hui vilipendés comme gages d'immobilisme face à un volontarisme étatique, ou plutôt présidentiel, qui force les portes du futur à défaut de celles du progrès. L'essor de ces communautés multiples favorisera le dialogue. En son sein tout d'abord, rapprochant les intérêts parfois divergents entre divers profils et professions. Vers l'extérieur ensuite, une communauté renforcée, fière de son patrimoine de valeurs communes et confiante dans ses moyens de concertation, pouvant aller sereinement à l'écoute de la société pour y confronter ses exigences. La communauté devient alors non plus la dépositaire de son seul intérêt égoïste mais bien d'une parcelle de l'intérêt général, qu'elle estimera d'autant plus qu'elle aura contribuer à son édification. Changer notre regard sur ce beau mot de communauté, c'est changer de regard sur notre société : mettre des citoyens autour d'une table, leur confier une part de l'avenir commun, c'est les engager dans une aventure qui dépassera bien vite les frontières de leur groupe, c'est les inviter à faire société.