Priorité. Primauté, importance préférentielle accordée à quelque chose.
Face à un flux continu d'informations enchevêtrant les échelons locaux, nationaux et mondiaux, entraînant une compression toujours accrue de nos repères spatio-temporels, face à des mécanismes économiques délirants, semblant nous échapper comme un gaz que l'on voudrait empoigner en vain, face à une pratique politique délurée nous amenant dans une course implacable vers des abîmes chaque jour plus profonds, où allons-nous ? Dans un monde interconnecté, où les réseaux sociaux font fondre les barrières entre les différentes sphères de la vie, comme la nouvelle (dés)organisation du travail a annihilé la dichotomie entre vie privée et vie professionnelle, où la multiplicité des enjeux globaux, de l'environnement à l'émergence des Suds, a obéré nos capacités d'analyse dans les carcans des anciens modèles, savons-nous encore naviguer dans les eaux de la démocratie ? Nous devons nous interroger : avons-nous définitivement perdu la faculté de nous arrêter, de faire le tri pour mieux engager une réflexion collective sur notre présent et notre devenir ?
Dans le tourbillon dans lequel nous sommes plongés, on semble en effet avoir perdu tous nos sens. La pratique sarkozyste a d'ailleurs commencé en ôtant les jalons réglant habituellement la procession politique. En exerçant une ouverture ravageuse, il a semé le trouble dans la définition des clivages partisans qui contribue à éclairer les débats politiques. En s'emparant de tous les sujets, de la rénovation des rames de RER A au moindre fait divers, il a fait imploser l'édifice institutionnel. En s'engouffrant dans le storytelling à outrance, il a inquiété les rédactions qui s'interrogeaient sur l'obligation de couvrir l'intégralité des déplacements présidentiels quasi-quotidiens au détriment d'une analyse plus poussée, que l'on croit désormais l'apanage d'amuseurs comme le Petit Journal de Canal Plus ou de rares médias indépendants, immédiatement taxés d'anti-sarkozystes primaires. Dans ce déferlement, l'opposition a bien du mal à se faire entendre, et bien au-delà à porter un message intelligible. Il faut accepter ce terrible constat : nous ne pourrons, nous ne devons pas chercher à courir après tous les lièvres lancés par le pouvoir en place, ni à détricoter cet entrelacs nauséabond pour dégager la mesure la plus abjecte sur laquelle concentrer toute notre énergie. La seule priorité politique du moment est limpide : nous devons retrouver le sens du projet.
La constitution d'un programme disparate est une étape mutilante, nous obligeant à dépecer la société en groupes et sous-familles pour lesquels nous envisageons des réponses délimitées à des problématiques parcellaires. Cette tentative vaine est le pendant généreux de la stigmatisation de faciles boucs-émissaires, aujourd'hui monnaie courante ; elles cherchent dans les deux cas à masquer un manque de réflexion globale sur l'état de la société. En isolant, on affaiblit, on appauvrit, on avilit le débat et les citoyens. Ce qu'il nous faut construire en priorité, c'est un projet de société global, retrouvant les vertus du collectif, de l'horizon générationnel, du dessein universaliste. Ce chemin nous engage sur la voie de la complexité, dans les pas d'Edgar Morin, celui de la civilisation et non du choc des ambitions. C'est dans cet esprit que le combat fondamental mené en ce moment sur la réforme des retraites doit être abordé. Un jour, la priorité (médiatique, politique) est braquée sur la pénibilité ; le lendemain, sur les modes de financement et le surlendemain sur les carrières des femmes. A chaque fois, le sujet réputé brûlant éclipse totalement le précédent, nous enfermant dans des oppositions d'autant plus autistes qu'elles ne concernent qu'un fragment du problème des retraites. Aux antipodes de cette manière de faire, nous devons imposer dans ce débat notre vision de la cohabitation des différents temps de la vie, des différentes générations, autour d'un idéal social commun. Notre regard sur les conséquences sanitaires et économiques d'un report de l'âge de départ à la retraite nous invite à repenser le bien-être au travail et au-delà, à projeter un horizon émancipateur qui brise l'aliénation au travail et desserre l'emprise de celui-ci sur les existences. Cette ambition est une exigence morale, celle de définir un projet s'adressant à tous, au-delà des contingences de l'actualité qui imposent des priorités fugaces, celle de tracer de vastes perspectives où notre avenir commun se dessinera.