Compte. État détaillé des dépenses et des recettes, du doit et de l'avoir.
François Baroin est le ministre des Comptes Publics. On aurait pensé, espéré qu'il connaisse la définition de ce mot, et qu'il saisisse qu'à côté d'une dépense, il y a une recette. Qu'il n'est pas qu'un vulgaire cost killer (l'anglicisme renforçant le caractère professionnel de la tâche, froid et impersonnel, donc furieusement efficace). Qu'épisodiquement, il se rappelle qu'il dirige également l'administration fiscale, ce qu'avait tendance à oublier son prédécesseur Eric Woerth, sauf lors du traitement de quelques successions de grand standing (cf. les affaires Bettencourt et Wildenstein). Bref, il serait grand temps pour notre bon gouvernement de mettre fin à son action hémiplégique en matière budgétaire : toujours tailler dans les dépenses, ne jamais toucher aux recettes (quand ils ne les diminuent pas de manière inepte). Equilibrer un budget, enfin le déséquilibrer a minima, comme il est de coutume depuis plus de trente ans, consiste donc à faire coïncider des recettes et des dépenses. Qu'il est affligeant de rappeler de telles naïves vérités...
François Baroin a aujourd'hui réuni les opérateurs de l'Etat pour une leçon de choses. Qui sont ces opérateurs ? Le Centre National de la Recherche Scientifique (CNRS), fondé en 1939 sous l'impulsion de Jean Perrin, secrétaire d'Etat du Front Populaire, qui emploie 30.000 personnes dans 1100 unités de recherche. Pôle Emploi, qui tente de guider depuis sa création en 2008 par la fusion de l'ANPE et des Assedic le flux ininterrompu de demandeurs d'emploi. L'Office National des Forêts (ONF), héritier de l'Administration des Eaux et Forêts créée par Philippe le Bel, qui gère un domaine forestier de 120.000 km² (et gérait la forêt de Compiègne avant sa vente illégale). Météo-France, récemment vilipendé par le Premier Ministre ne souhaitant pas attirer l'attention sur la désorganisation des services des Directions Départementales de l'Equipement devenues les Directions Départementales des Territoires, conséquence de la Révision Générale des Politiques Publiques (RGPP). Et tant d'autres encore, assurant des missions d'intérêt général, au nom de l'Etat, sur tout le territoire. Mais notre ministre a dit "Halte là". Ou plus exactement : nos opérateurs doivent sortir de la "dépendance à la perfusion de la dépense publique" qui agit "comme une drogue". Comme le disait fort bien Talleyrand "Tout ce qui est excessif est insignifiant". Voilà une maxime qui pourrait servir quotidiennement au commentaire de l'activisme du personnel ministériel et élyséen, si nous ne nous préoccupions pas plus sérieusement du devenir de ces politiques absurdes. Non, les subsides de l'Etat ne sont pas une drogue, ils sont une ration de survie ! Non, les opérateurs de l'Etat ne doivent pas aller chercher ailleurs les deniers nécessaires à l'accomplissement de leur mission, dans un souci d'égalité de traitement de tous les citoyens, loin des intérêts privés qui pourraient lorgner sur ces secteurs. Non, ces opérateurs ne pourront supporter le non-remplacement d'un départ en retraite sur deux : allez visiter un laboratoire, ou une agence Pôle Emploi, et essayez d'expliquer que ces services de l'Etat sont actuellement en sur-effectif ! La règle à calcul absurde par sa rigidité d'une superficie par agent de 12m² ne correspond à aucune des réalités différentes des différents opérateurs. Et tout ça pour quoi ? Un milliard d'économies en trois ans, quand la lutte contre l'évasion fiscale a rapporté un milliard... en un an !
Dans le même temps, de l'autre côté de l'Atlantique, un débat fait rage. Faut-il prolonger les baisses d'impôts (tax cuts) héritées de l'ère Bush, au nom d'un stimulus économique en période de crise ? Le Prix Nobel Paul Krugman, éditorialiste du New York Times, nous met en garde contre le compromis signé entre l'administration Obama et la majorité républicaine du Congrès : l'argent va être nécessaire sur le long terme pour relever notre économie et sortir du chômage de masse, il faut donc cibler nos efforts là où ils porteront le plus longtemps. Bref, la colonne des recettes doit être remplie d'urgence, car celle des dépenses n'est pas prête de s'affaisser, les impacts sociaux de la crise économique se faisant encore nettement sentir. Prolonger les baisses d'impôts pour les plus fortunés est ainsi doublement contre-productif. Tout d'abord, l'Etat a besoin d'argent en période de récession pour maintenir et améliorer un filet de sécurité pour les plus précaires, en assurant un revenu de remplacement dans l'attente d'un emploi pérenne. Et enfin, baisser les impôts des millionnaires, c'est comme donner à boire à un âne qui n'a pas soif : cet argent va alimenter l'épargne et la spéculation, mais ne va en aucun cas relancer l'activité économique par la consommation ! Krugman nous invite donc à avoir une vision dynamique de la question budgétaire, où la réflexion sur nos dépenses ne peut être décorrélée, dans le temps comme dans son intensité, de celle des recettes fiscales. Il serait bon que M. Baroin aille prendre quelques cours d'économie à Princeton ou s'abonne au New York Times...