La pause estivale est l'occasion rêvée pour se ressourcer. Où l'on éloigne le fracas anesthésiant de l'immédiateté. Où l'on respire à son propre rythme. Où l'on médite son action avec plus de pondération que d'accoutumée. Certains doivent décidément vivre dans un différent hémisphère... Sous d'autres latitudes, ne prenant jamais le temps de l'introspection, ils courent irrémédiablement, derrière on ne sait quoi. Ou on le sait trop bien... Ils courent, courent, avec une ardeur toujours renouvelée. Ils soufflent à s'époumonner sur les braises de l'abject. Ils parlent jusqu'à faire perdre le sens à des mots perdus dans la bile qui suinte de tous leurs pores.
On aimerait leur conseiller un beau texte à lire à haute voix, pour que leurs langues putrides se délient et leurs paroles fielleuses se perdent dans l'air frais de ce mois d'août. Qu'ils ouvrent 'Le Bouquiniste Mendel', qu'ils pénètrent dans le café Gluck, qu'ils fassent la rencontre de Jakob Mendel. De ce vieux juif ayant pris ses quartiers dans ce café viennois, assis à une petite table de marbre, ils apprendraient l'adoration des livres, qui recueillent la pensée de nos prédécesseurs. Ils verraient de leurs yeux l'immensité de la mémoire, de celle qui nous permet de naviguer sur le fleuve toujours bouillonnant du temps. Ils toucheraient la grâce subtile de la pensée, qui fait se nouer les amitiés les plus fabuleuses. Et ils témoigneraient de la folie ardente du nationalisme imbécile, qui est le négatif le plus exact du dialogue irénique sincère. Celui contre lequel nous met en garde Rabindranath Tagore, le sage indien, exactement à la même époque que ce récit, en pleine Première Guerre Mondiale. Un sage, poète, dramaturge, chorégraphe, compositeur, peintre, et pédagogue, ayant traversé un pays colonisé, creuset de multiples cultures, et qui appelle à l'émancipation de chacun par l'ouverture à l'autre. Ce cadeau, celui de la culture en partage, est celui que nous devons adresser à nos faucons si pressés.
Notre Assemblée Nationale siège en face de la Place de la Concorde. Qu'ils marchent sur cette esplanade, nos élus et nos ministres si prompts à jeter en pâture ce qu'ils désignent comme fraudeurs, Français au sang trouble, quasi-insurgés. Et ce faisant, qu'ils se rappellent ce qui a amené à cet endroit cardinal ce beau nom de baptême. Qu'ils repensent aux gloires de notre patrie et de ces citoyens qui ont libéré les lumières de la pensée, et aussi aux heures noires de notre passé, de celle que l'ancien locataire de l'Elysée avait eu la décence de considérer comme une tâche sur notre patrimoine commun. Qu'ils écoutent ce discours, et cette mise en garde : "Rien n'est insignifiant, rien n'est banal, rien n'est dissociable. Les crimes racistes, la défense de thèses révisionnistes, les provocations en tout genre - les petites phrases, les bons mots - puisent aux mêmes sources." Qu'ils n'oublient pas d'où nous venons quand ils dressent des palissades tout au long de notre route, nous obligeant à emprunter un chemin étroit vers un horizon racorni. Notre démocratie n'est pas compatible avec leurs effets déclamatoires de guerre civile ; elle doit craindre la dissolution dans ces propos outranciers. Elle se perdra dans la fange épandue par ces prétendus meneurs, rapides à diluer nos valeurs dans un bouillon d'inculture. Alors je souhaite à tous ces extincteurs de conscience de prendre quelques instants pour se plonger dans les belles pages de Stefan Zweig. A la fin de cette paisible parenthèse estivale, ils y liront ces quelques mots :
"On ne fait des livres que pour rester lié aux hommes par-delà la mort et pour nous défendre ainsi contre l'ennemi le plus implacable de toute vie, le temps qui passe et l'oubli."