Waste. Déchet ; gaspillage.

Aujourd'hui est le premier jour de la Semaine Européenne de la Réduction des Déchets. En dehors du caractère parfois risible de ces journées dédiées à de grandes causes... et à d'autres, il faut reconnaître qu'elles permettent de mettre en avant des thématiques rarement débattues. Pour cela, il est intéressant d'observer comment cette semaine est retranscrite en France, notamment dans le cadre de la campagne "Réduisons nos déchets, ça déborde" qui existe elle depuis de nombreuses années. En mettant l'accent sur la responsabilité individuelle des consommateurs qu'il conviendrait de métamorphoser en consomm'acteurs, cette campagne ne traite pourtant qu'une faible part du problème posé. Bien entendu, la sensibilisation des particuliers au gaspillage de denrées alimentaires ou à des choix vertueux (éco-recharges, piles rechargeables, ou cabas réutilisables) est importante. Par ces actes quotidiens, l'urgence d'un changement de mode de consommation, plus respectueux de l'environnement, devient concrète et diffuse dans l'opinion publique. Mais il faudrait être bien naïf pour penser que, face à l'étendue des défis à relever, et aux mécanismes économiques en jeu, le seul levier des comportements en fin de chaîne soit suffisant à régler le problème ! Car il faut bien prendre conscience de l'immensité du défi.
Tristam Stuart, dans un remarquable essai publié en 2009 intitulé "Waste - Uncovering the global food scandal", s'intéresse tout particulièrement à la production, la distribution et la consommation des produits alimentaires. Et annonce ce chiffre horrible : environ 25% de la production alimentaire mondiale finit à la poubelle. Un quart. Les sources de gaspillage se retrouvent tout au long de la chaîne. Au niveau de la production, ou de la sur-production agricole, encouragée parfois par des systèmes de subventions malavisés, ou lorsque certains produits sont rejetés car ne répondant pas à certaines normes ridicules (comme la rectitude des carottes). Au niveau de la valorisation, comme le montre l'exemple d'une fabrique de sandwiches qui jette 15% du pain de mie acheté (vous pouvez voir les photographies illustrant l'essai ici). Au niveau de la distribution, avec des dates de péremption idiotes, qui poussent des magasins à jeter des produits consommables, et dans certains cas à les couvrir de javel pour éviter les glaneurs. Au niveau de la consommation, avec des conditionnements mal pensés, et un tri peu efficace et peu encouragé.
Avec la malice déjà dénoncée ici de la manipulation de chiffres, il nous livre quelques constats toutefois saisissants. Chaque année, 61.300 tonnes de tomates sont jetées au Royaume-Uni pour différentes raisons. L'énergie dépensée à pure perte pour cultiver ces tomates aurait pu servir à cultiver du blé, céréale ayant un bien meilleur rendement énergétique (entre l'énergie dépensée et les calories que l'on peut en tirer), en grande quantité : 3,2 millions de tonnes, suffisamment pour nourrir un peu plus de 100 millions de personnes souffrant de malnutrition. Le chalutage utilisé pour la capture de crevettes est notoirement inefficace, menant dans certains cas à 96% de déchets : pour un kilo de crevettes, 25 kilos de poissons morts sont rejetés dans l'océan... Les exemples s'enchaînent, et mènent tous à la même conclusion : c'est un changement total de mentalité de l'ensemble des acteurs du système qui doit nous permettre de réduire les gaspillages pour ainsi aller vers une plus juste répartition des denrées alimentaires.
La grande vertu de cet essai est que l'auteur ne se contente pas de dresser un tableau apocalyptique de la situation, mais propose des solutions, déjà mises en application dans certains pays, afin de résoudre ce paradoxe qui veut que certains pays meurent de faim quand d'autres jettent la nourriture par la fenêtre, et gaspillent des ressources dans un environnement dont la finitude nous apparaît tous les jours plus frappante. Il faut réglementer plus avant les industries agro-alimentaires qui doivent communiquer sur la quantité et la nature des déchets produits lors de la transformation des matières premières agricoles, et les réduire selon un plan pluri-annuel sous la surveillance des Etats. Il faut valoriser les déchets restant, en autorisant leur utilisation pour la nourriture animale par exemple, comme cela peut être fait en Corée du Sud. Il faut interdire aux distributeurs de jeter des produits consommables, en favorisant les dons aux clients directement et bien entendu aux organisations caritatives . Enfin, les relations entre producteurs et distribution doivent être rééquilibrées pour éviter les productions gaspillées lors d'annulations de commandes. A l'heure où la gastronomie française rentre au patrimoine immatériel de l'UNESCO, comme l'a célébré Fredo la menace, une réflexion sur la place qu'occupe la nourriture dans notre société et dans notre économie mondialisée doit figurer au menu de nos préoccupations. Tristam Stuart nous y invite, par sa pertinence et son audace. It would be such a waste not to listen to him.