Militant. Je suis militant, politique, associatif, comme tant d'autres en France et ailleurs. Mais que suis-je exactement ? Que recouvre exactement le sens de ce mot ? Toujours s'interroger sur la réelle signification du vocabulaire employé, non par pédantisme, mais par souci de l'exactitude du propos, de la précision de la pensée. Ce sera le but de ce blog, questionner, faire résonner les mots pour mieux les faire vivre.
Reprenons. Militant emprunte originellement au registre religieux, tout comme propagande d'ailleurs... Intéressant retour de l'histoire pour un pays qui s'appuie sur une tradition laïque, aujourd'hui plus que centenaire, visant à éviter l'entrechoquement des sphères politiques et spirituelles. En tout cas, parmi toutes les acceptions de ce mot, une chose est sûre : être militant, c'est agir, c'est lutter. C'est l'activist anglo-saxon, c'est Martin Luther King comme Rosa Parks ou encore Harvey Milk, celui qui manifeste sa colère et son envie de changer la société et les réflexes de pensée. On touche au but : par ses actes, impacter l'esprit des citoyens pour les amener à porter collectivement le changement. Mais là où le militant se détache de son origine religieuse, c'est dans l'échange qui se tisse entre la société et lui-même. Il ne s'agit plus de répandre, de propager une doctrine catéchistique en régurgitant un enseignement à sens unique. Non. Le dialogue doit s'instaurer avec la société : si un militant cherche à la modeler en fonction de ses opinions, ces dernières se sont nourries de son observation du monde, des révoltes qu'il a connu face aux inégalités. Sa révélation n'est pas messianique, nimbée d'un halo superbe, elle a la regrettable vulgarité de la pauvreté, de la haine et l'injustice, elle a le visage de la comédie humaine.
Les convictions se frottent au réel, elles sont mises à rude épreuve et ainsi se renforcent. S'il y a action, il y a réaction, comme en mécanique. L'action quotidienne, auprès de ses proches, de ses collègues, de ses amis, de sa famille, et des inconnus croisés sur un marché, dans une manifestation, nourrit la réflexion, qui viendra enrichir l'action future, dans un vaste mouvement perpétuel de récursivité chère à Edgar Morin. Les frottements avec le réel, ce sont les interpellations d'un quidam qui me traite de génocidaire, moi, placide militant, à huit heures du matin, devant une bouche de métro, pour des faits que d'autres ont commis, à une époque où j'avais à peine dix ans... Ce sont la haine retenue d'une vieille dame qui, en métaphore des relations inter-ethniques, m'explique que "on a jamais vu un cheval monter une vache"... Ce sont les banderilles amicalement plantées par mes amis pour questionner encore mon engagement qui peut, de l'extérieur, paraître vain... Ce sont les craintes parentales de voir son fils sombrer dans l'enfer partisan... Ce sont surtout une rencontre inoubliable avec une SDF, perdue sur une berge du Canal Saint-Martin, ayant pris sous son aile endolorie deux 'paumés', appelant à l'aide, mais obstinée et fière...
Ces voix, il faut les entendre, en faire 'parole d'évangile', son chapelet. Militer, ce n'est pas se lamenter, c'est transformer cette frustration et cette tension vivace en force créatrice, en force de persuasion. Militer, c'est lutter contre la facilité qui pousse chacun et parfois soi-même à succomber au mirage de l'inamovible. Militer, c'est forcer les portes de l'avenir.
You see things; and you say, 'Why?' But I dream things that never were; and I say, "Why not?"
George Bernard Shaw