Identité. Caractère de ce qui, sous des dénominations ou des aspects divers, ne fait qu'un ou ne représente qu'une seule et même réalité.
Une nation et des citoyens en quête d'identité, un débat structurant pour les dix années à venir, voici l'affiche placardée par la droite depuis quelques semaines maintenant. La France se disloquerait et devrait retrouver le ciment de l'unité en réaffirmant son identité séculaire. Nous serions sommés par un ministère, une administration centralisée, ayant force de loi, de nous interroger sur notre identité nationale. Sur une identité nationale ? D'ors et déjà le débat est vicié. Qui songerait en effet à se définir, dans la complexité de ses rapports au monde, à autrui, à son propre reflet, par un débat gouvernemental ? Qui pourrait se revendiquer d'une identité aux contours fixés par une autorité, certes légitimée par une sanction démocratique en 2007, qui serait venue s'immiscer dans un dialogue qui la dépasse de beaucoup, un dialogue de culture et de passion ? Qui souhaiterait surtout s'enfermer dans le carcan univoque d'une identité commune à celles et ceux qui possèdent simplement la même nationalité ?
Un individu dépasse largement les frontières de son pays. Lorsque je monte à Paris, je me remémore mes origines béarnaises. Lorsque je parcours l'Europe, je la vis à travers mes expériences françaises. Lorsque j'émigre aux Etats-Unis, j'y amène ma culture européenne. Ces multiples identités ne s'opposent pas, elles s'entremêlent, s'entrechoquent parfois, s'enrichissent pour en faire un alliage unique, variant selon mon humeur. Une identité c'est avant tout un sentiment. Elle prend appui sur un passé et se forge quotidiennement pour affronter le lendemain. Aujourd'hui, je partage l'héritage d'une philosophie judéo-chrétienne, que je ne peux renier malgré mes convictions laïques, et je dialogue avec toutes les écoles de pensée. Mon identité dépasse les ciments de la langue que j'ai en commun avec plusieurs millions de personnes sur ce continent et ailleurs. Elle s'ancre dans des paysages, des villes, gravées dans ma mémoire. Elle s'emballe pour le livre lu la veille, et pour la pile de ceux à lire d'urgence, pour des musiques et des peintures. Elle n'a pas de limite, nationale ou sentimentale. Celles et ceux qui ont la chance de posséder plusieurs bagages culturels ne sauraient être condamnés à choisir, mutilant ainsi leur mémoire. Il est de bon ton dans ce débat de convoquer Marc Bloch malgré lui. C'est lui-même pourtant qui, dans L'Etrange défaite, nous invitait à ne jamais se défaire d'une identité au profit d'une autre : "C'est un pauvre cœur que celui auquel il est interdit de renfermer plus d'une tendresse." Invitation à conjuguer les liens qui unissent un citoyen à son pays, liens forts et mouvants, et la prétention à l'universalisme de nos valeurs. Mon identité m'est propre, personnelle, elle est fluctuante mais en aucun cas réductible à un "kit" proposé en préfecture ou chez les marchands de journaux
Poser la question de l'identité d'une nation, patrimoine émotionnel commun des citoyens, intrigue au mieux, inquiète au pire. Car quelle piètre conception de l'exigence politique que de se rabattre sur le registre du passionnel à défaut de répondre aux urgences sociales primaires. Si la gestion de la cité peut recourir au symbolique, en s'armant d'une devise, d'un hymne, d'un drapeau, d'une geste commune, pour s'unir et s'élargir, elle ne peut s'y résoudre pour pallier ses défauts et faire oublier son incapacité à traiter de l'indispensable. Cette question de l'identité ne peut être menée dans des préfectures, par des fonctionnaires qui devraient avoir pour mission prioritaire de panser les plaies d'une société qui s'appauvrit, matériellement et intellectuellement, par la faute d'une droite avilissante et abêtissante. Par cette voie, celle-ci prend le risque de diviser encore plus une nation qu'elle fragmente jour après jour. Elle sera ainsi la seule à se perdre dans son propre écran de fumée. A trop chercher à préciser les critères séparant le bon grain de l'ivraie, à vouloir étiqueter "Made in France" des citoyens patriotes, la droite prend le risque d'exclure encore plus ceux qui se sentent en marge d'une nation qui a trop tendance à les oublier. A vouloir revitaliser la frange la plus réactionnaire de l'électorat pour mieux faire oublier les errements de sa politique sociale, elle est en train d'ouvrir en grand la boîte de Pandore. L'identité nationale, l'opium du gouvernant en panne ?