Comment lancer des travaux alors que le cadre réglementaire et les aides changent constamment ? C’est l’équation insoluble à laquelle font face les ménages et les professionnels réalisant des travaux de rénovation énergétique.
Le caractère prioritaire de cet immense chantier fait pourtant largement consensus : pour atteindre la neutralité carbone en 2050, pour résoudre le bouclage énergétique à venir, pour protéger les françaises et les français face à la fluctuation des prix de l’énergie et éliminer la précarité énergétique, pour améliorer leur qualité de vie, pour réduire l’énorme facture de nos importations énergétiques, il faut rénover massivement nos logements.
Pourtant, depuis 15 ans, la France échoue à atteindre ses objectifs en la matière. Pour comprendre les raisons de cet échec et répondre à ce défi majeur, une commission d’enquête du Sénat et une mission d’information de l’Assemblée nationale, dont nous avons été les rapporteurs respectifs, se sont réunies l’an dernier.
Ces organes ont travaillé durant plusieurs mois et mené des centaines d’heures d’audition avec tous les acteurs de la rénovation. Nos travaux ont été menés de manière transpartisane, la composition de ces commissions reflétant celle des deux chambres du Parlement. Nos conclusions sont donc le reflet d’un large consensus des professionnels et des différentes familles politiques.
Toutes les demandes des professionnels vont dans le même sens : prioriser les rénovations globales, renforcer significativement les aides publiques, consolider les dispositifs d’accompagnements portés par les acteurs institutionnels et les collectivités, et réformer le label RGE. Surtout, toutes les personnes auditionnées ont insisté sur la nécessité d’une vision de long terme et la stabilité des politiques publiques en la matière.
Nous avons interpellé le gouvernement pour que ces solutions concrètes, plébiscitées par celles et ceux qui font, soient rapidement mises en œuvre. Or, malgré quelques prises de contact, jamais, à aucun moment, le gouvernement n’a daigné nous recevoir pour échanger sur la mise en œuvre de ces propositions.
Certes, à l’automne dernier, le gouvernement Borne avait repris, à son compte, certaines de nos demandes, notamment l’annonce du recentrage des aides vers les rénovations globales. Mais depuis un mois, le gouvernement Attal enchaîne les régressions : réduction d’un milliard d’euros du budget de Ma Prime Rénov’, retour de la priorité donnée aux “mono-gestes”, assouplissement du DPE pour les petits logements, etc.
Ces différentes annonces sont toutes profondément problématiques. D’abord, en continuant de financer des petits gestes de rénovation, la France subventionne des travaux sans effets majeurs sur la performance des logements. Alors que l’efficacité de la dépense publique est constamment mise en avant par l'exécutif, il s’agit là d’un usage bien peu utile de l’argent public !
La simplification du DPE pour les petits logements, si elle répond certes à des problèmes techniques, semble davantage motivée par la volonté de remettre sur le marché locatif des passoires thermiques avant l’interdiction progressive votée par la loi Climat et Résilience. Si une réforme du DPE est nécessaire, elle doit être globale : comment encourager les propriétaires à réaliser ces diagnostics si l’étiquette énergétique de leur logement va de nouveau changer ? Quant à la baisse de l’enveloppe allouée à Ma Prime Rénov’, que le gouvernement légitime en affirmant qu’elle n’est souvent pas totalement distribuée, c’est bien l’illisibilité des aides qui en est responsable.
En plein état d’urgence social et climatique, ces annonces sont absolument irresponsables. Elles témoignent d’un mépris de notre travail parlementaire de la part d’un gouvernement qui n’écoute personne. Surtout, elles minent la confiance des ménages et des acteurs de terrain, qui l’ont dénoncé dans une tribune dans Le Monde.
Alors que tous les porteurs de projets veulent de la visibilité et un soutien de la part de la puissance publique, ces contre-annonces de dernière minute sont totalement délétères tant elles auront des conséquences néfastes sur la structuration de la filière, le pouvoir d’achat de nos concitoyens et l’indispensable transition écologique.
Avec ces économies de bout de chandelle, le gouvernement va entraîner des dépenses bien plus fortes à l’avenir pour des logements toujours mal isolés. Faudra-t-il encore déclencher un « bouclier tarifaire » coûtant des dizaines de milliards d’euros à la prochaine crise énergétique ?
De même, le retard constant sur nos objectifs de réduction des émissions de gaz à effet de serre ne manquera pas de causer d’immenses dépenses d’adaptation au changement climatique. Autant de points d’ailleurs justement rappelés par la Cour des Comptes dans son rapport annuel du 12 mars, qui juge très sévèrement ces nouveaux reculs.
Au lieu de tergiverser et de revenir en arrière, il est grand temps de changer de paradigme et de cesser d’utiliser les politiques écologiques et sociales comme une variable d’ajustement des finances publiques. Un vrai cap pluriannuel sur la rénovation énergétique doit être fixé pour que nous passions enfin des incantations à l’action afin de tenir nos objectifs et de donner un cap clair à toute cette filière d’avenir.
C'est un impératif énergétique, écologique, social et sanitaire absolument majeur. À l’heure où le gouvernement change encore de cap, réduit le budget et revient sur de nombreuses dispositions essentielles, gardons à l’esprit que les investissements d’aujourd’hui permettent les économies de demain.
Guillaume Gontard,
Sénateur de l’Isère
Président du groupe Écologiste - Solidarité et Territoires
Rapporteur de la commission d'enquête sur l'efficacité des politiques publiques en matière de rénovation énergétique
Julie Laernoes,
Députée de Loire-Atlantique
Membre du groupe Écologiste – Nupes
Corapporteure de la mission d’information commune relative à la rénovation énergétique des bâtiments